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Un moment décisif

Vendredi 13 décembre 2019

 

  1. Sur la réforme des retraites, l’épreuve de force est engagée
  2. Boris Johnson gagne son pari

 

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  1. Sur la réforme des retraites, l’épreuve de force est engagée

 

Si les manifestations du 5 décembre furent incontestablement massives – 800 000 manifestants selon le ministère de l’intérieur, 1,5 millions selon la CGT – celles du 10 décembre furent bien moins fournies – 340 000 manifestants selon le ministère de l’intérieur, 885 000 selon la CGT, ce 10 décembre étant, comme chacun le sait, la veille du 11, autrement dit du jour auquel le 1er ministre devait présenter sa réforme des retraites devant le CESE.

 

Cette moindre participation a-t-elle contribué à ce que le gouvernement se croie autorisé à ne rien lâcher ou bien a-t-il été fidèle à une logique maintenant bien établie de ne rien lâcher quoi qu’il arrive, on ne saura ici trancher. En tout état de cause, ceux et celles qui ont cru devoir rester chez eux ce 10 décembre ont fait un bien piètre pari… Ainsi, donc, et dans ce contexte, le 1er ministre, Édouard Philippe, a choisi de se mettre tout le monde à dos en combinant tout à la fois réforme « systémique » – le système « à points » – et « paramétrique » via la reprise d’une proposition du rapport Delevoye d’introduire « l’âge pivot » de 64 ans, requalifié pour la circonstance d’« âge d’équilibre » qui sonne mieux… Ce faisant, il ne laissait aux syndicats « réformistes », CFDT et UNSA, aucune marge de manœuvre puisque, comme l’a rappelé Laurent Berger, le « patron » de la CFDT, favorable rappelons-le à la retraite « à points », l’âge pivot de 64 ans était une « ligne rouge »…

 

Ceux et celles d’entre vous qui veulent entrer dans le détail des mesures anoncées par le 1er ministre pourront utilement le faire en visionnant l’émission qu’a diffusé Le Média TV le 11 décembre au soir via son épidode #5 de « Marche ou Grève ». Chaque mesure y est disséquée par les deux invités du jour, l’économiste « atterré » Christophe Rameaux, maître de conférences à Paris I, et Agathe, porte-parole du collectif Nos Retraites. L’émission est ici. Elle dure 1 h 15.

 

Par-delà le caractère très technique des mesures anoncées, il faut s’interroger sur ce choix qui a été fait non seulement de ne rien céder sur le caractère « systémique » de la réforme – nul n’attendait qu’ils décidassent alors d’y renoncer – mais sur ce choix fait par le pouvoir de reprendre cette affaire d’âge pivot dont ils savaient pertinemment qu’il fâcherait leurs alliés syndicaux, CFDT et UNSA. N’est-ce pas là le moyen d’user d’une vieille ruse consistant à mettre d’abord la barre très haut pour ensuite en rabattre à la marge - l'âge pivot - et permettre ainsi de faire passer l’essentiel - la retraite "à points" - tout en permettant ainsi à ses alliés de crier victoire ? En d’autres termes, ne faut-il pas s’attendre à ce que, suite au succès de la prochaine mobilisation du 17 décembre à laquelle appellent l’ensemble des organisations syndicales, Jupiter, dans sa grande mansuétude, annonce qu’il remballe sa mesure d’âge pivot, suite à quoi la CFDT et l’UNSA crieront victoire ne laissant sur le front que les seules organisations qualifiées d’« extrêmistes » – CGT, Solidaires, FSU – à la veille des congés de Noël. On peut même imaginer que le 1er ministre, Édouard Philippe, se saisisse de ce recul pour expliquer qu’il s’agit là pour lui d’un désavœu, qu’il choisit donc de démissionner, ce qui lui permet de se présenter aux municipales de sa bonne ville du Havre…

 

Une chose est sure à cette heure, tous les sondages sortis depuis le confirment : Édouard Philippe n’a pas convaincu les français et le soutien au mouvement reste massif et ne cesse de progresser.

 

Sondage Odoxa-Dentsu Consulting pour Le Figaro et France Info du 12 décembre

 

Si les opposants à cette réforme peuvent se satisfaire de ce désavoeu, ils devraient toutefois être prudents. En effet, dans ce même sondage, 63 % des personnes interrogées se disent favorables à la disparition des « régimes spéciaux » (SNCF et RATP en éfigie) et à la mise en place d’un régime universel unique. Or, malheureusement, les seuls secteurs mobilisés visibles sont précisément et pour l’essentiel les cheminots de la SNCF et les employés de la RATP. S’il est vrai que les enseignants se sont fortement mobilisés, leur grève n’a, on le sait trop bien depuis de nombreuses années, que peu de poids. Il y a beau temps que le pays a accepté de voir ses enfants privés de cours, y compris pendant des mois… Le scénario décrit plus haut d’un Emmanuel Macron revenant sur cette affaire d’âge pivot n’en prend dès lors que plus de vraissemblance puisque dès lors, la grève à la SNCF et la RATP durant les congés de Noël n’apparaîtra alors que comme relevant d’un « jusqu’au boutisme catégoriel » et le gouvernement ne manquera pas d’user de cet argument pour rejeter sur eux les difficultés des citoyens du pays à rejoindre leur famille durant les fêtes de fin d’année et le manque à gagner des commerçants en cette période décisive pour eux.

 

La période qui va du 17 décembre au 21 décembre – date de début des congés scolaires de Noël – va donc être décisive. Les opposants à la réforme « systémique » parviendront-ils à éviter que le débat sur les retraites ne porte que sur les « régimes spéciaux » de la SNCF et la RATP ou bien la propagande gouvernementale réussira-t-elle à faire porter la responsabilité du blocage sur les seuls grévistes de ces secteurs, telle va être la seule question qui vaille durant ces quelques jours.

 

Quelques remarques :

 

1. Le gouvernement, en totale contradiction avec ses principes, vient d’accorder à l’ensemble des forces de police – et pas seulement aux seuls CRS, par exemple – le bénéfice de la conservation de leur régime spécial. Idem avec l’armée et les pompiers… Difficile pour lui d’expliquer alors que ce nouveau système de retraite est un grand progrès social si c’est pour, « en même temps », en exonérer les seules forces qui le protègent depuis plus d’un an, la police… Mais, comme on le sait, ces gens-là ne sont pas une contradiction près. L'essentiel n'est-il pas de ne pas fâcher les « corps habillés », c’est-à-dire armés, fut-ce au prix d'une entorse au principe de "l'universalité" ?...

 

2. Jean-Paul Delevoye est, de fait, « débranché ». On vient en effet d’apprendre que le « Haut Commissaire aux retraites » a « oublié » d’informer la HATVP (Haute autorité à la Transparence de la Vie Publique) de sa fonction d’administrateur de l’IFPASS (Institut de formation de la profession de l’assurance ) – un lobby des assurances – depuis 2016 et, qu’en outre, il émargeait depuis 2017 à raison de 5 638,38 €/mois comme président du think-tank Parallaxe, lobby en charge de la promotion de l'enseignement privé, en totale contradiction avec l’article 8 de la Constitution qui stipule, en son article 23, que « Les fonctions de membre du Gouvernement sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat parlementaire, de toute fonction de représentation professionnelle à caractère national et de tout emploi public ou de toute activité professionnelle ». Qu’à cela ne tienne, l’intéressé a annoncé qu’il rembourserait les sommes perçues indûment. Bien évidemment, nulle poursuite ne sera engagée contre lui… Selon que vous serez puissant ou misérable… En tout état de cause, Jean-Paul Delevoye a rempli son office. Qu’il soit maintenant obligé de quitter le gouvernement n’a, disons-le, qu’un faible intérêt politique au regard des enjeux de la période. Le parlement n’étant rien d’autre qu’une chambre d’enregistrement, que ce soit lui ou n’importe qui d’autre qui réponde à peu près n’importe quoi aux députés appelés à légiférer en janvier ne changera absolument rien quant au vote des playmobils LREM…

 

3. Le gouvernement s’emploie à « déminer » secteur par secteur. Ainsi est-il donné de voir Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, faire le tour des plateaux télé et radio pour expliquer que, certes, la réforme des retraites va avoir un impact significatif sur le niveau de pension des enseignants mais qu’il y remédiera par des primes avec, accessoirement, une révision de leur charge de travail, entendez en les alourdissant… Outre qu’avec un point d’indice gelé depuis près de huit ans et prévu pour le rester durant le reste du quiquennat, la promesse a quelque peu du plomb dans l’aile, le souci c’est qu’il faudrait que l’État consacrât 10 milliards/an supplémentaires pour annuler l’effet de la réforme. En effet, les calculs montrent que les enseignants vont perdre jusqu’à 30 % de leur pension dans cette affaire (2 600 €/mois en moyenne en 2017). Pour annuler cet effet délétère, il faudrait donc augmenter les quelques 815 000 enseignants de 1 300 €/mois durant leur activité et, de cela, bien sûr, il ne saurait être question. Emmanuel Macron l’a d’ailleurs dit sans embage lors d’une réunion récente à Rodez le 12 octobre dernier. Dès lors, on voit mal comment les « discussions » avec les organisations syndicales qui commencent ce jour au ministère auraient quelque vertu émoliante. Reste à voir si les enseignants sauront se mobiliser au-delà des simples « temps forts » auxquels les convient leurs organisations syndicales pour s’inscrire dans un mouvement autre que catégoriel, un mouvement d’ensemble dépassant le seul cadre des « régimes spéciaux » dont, finalement, avec tous les fonctionnaires, ils relèvent.

 

  1. Boris Johnson gagne son pari

 

Les élections générales destinées à renouveler le Parlement viennent de se tenir au Royaume-Uni ce 12 décembre. Une seule question a été au centre des débats : Brexit or not Brexit. Le 1er ministre en place, Boris Johnson, a fait campagne sur ce seul thème l’agrémentant de mesures sociales significatives telles la fin de l’austérité, l’embauche de 50 000 infirmières et de l’argent pour le NHS, ainsi que la préservation du pouvoir d’achat des classes populaires et moyennes et même, cherry on the cake, la limitation des cadeaux fiscaux aux riches… En face, Jeremy Corbyn, le Mélenchon local, a mis en avant un programme social très ambitieux en rupture totale avec tout ce que le parti travailliste a fait depuis Tony Blair : renationalisation du rail, de l’eau et de la Poste, injection de milliards dans l’Éducation, la Santé et le ferroviaire, « révolution industrielle verte » pour répondre à « l’urgence climatique », haut-débit pour tous avec la nationalisation du géant des télécommunications, BT (British Telecom), etc. Mais sur la question centrale de la campagne, autrement dit sur le Brexit, empêtré dans les contradictions de son parti, dans le souci sans doute de ne pas le faire exploser, soucieux de ne pas se couper des couches éduquées boboisantes favorables au Remain, il a choisi la ligne consistant à proposer de négocier un nouvel accord de sortie avec l’UE et de le soumettre au vote des Britanniques dans les six mois lors d'un référendum qui leur offrirait aussi le choix d’y rester. Ce faisant, et en dépit de la qualité de son programme social, il s’est coupé d’une fraction significative des couches populaires qui, comme on le sait, ont massivement voté en faveur du Brexit. Espérant ainsi ménager la chèvre et le chou, il est devenu inaudible de ces couches de la population qui ont longtemps constitué la base du parti. De sorte qu’en ce 13 décembre, son parti vient de subir la plus grande défaite de son histoire en perdant 42 sièges au Parlement britannique avec, en bonne logique britannique, un Jeremy Corbyn qui n’a eu comme seul choix que d’annoncer qu’il quittait la direction du parti travailliste.

 

 

 

On notera qu’avec cette élection et la victoire sans appel du SNP (Scottish National Party) en Écosse – 48 sièges sur 59 – sur une position anti-Brexit, le Royaume-Uni risque de se désunir. Fort de sa victoire, Nicola Sturgean, la chef du SNP, a d’ores et déjà relancé la perspective d’un second référendum d’indépendance de l’Écosse. Idem en Irlande-du-Nord avec la défaite des « unionistes » et, donc, la question, là aussi, de lâcher le Royaume-Uni pour se rattacher à l’Irlande… et rester dans l’UE.

 

On peut évidemment regretter un tel résultat, penser que le Royaume-Uni, l’ensemble de sa population, en particulier la plus pauvre, aurait eu un bien meilleur avenir avec le programme de Jeremy Corbyn qu’avec celui de Boris Johnson. Mais force est de constater que la ligne « écolo-sociale » a du plomb dans l’aile, qu’il ne suffit pas d’avoir un très beau programme écolo-social si, « en même temps », on est incapable de répondre clairement aux questions qui traversent le pays. Ici, clairement, la campagne s’est jouée sur le Brexit et, faute de répondre clairement à l’aspiration des moins éduqués, des moins fortunés, de sortir de l’UE, Jeremy Corbyn a perdu. Qu’on ne s’y trompe pas, ces élections britanniques s’inscrivent dans la ligne de celle qui a mené Donald Trump à la Maison Blanche. Elles en sont une réplique. Et tout porte à croire que notre pays risque fort de connaître le même sort en 2022, autrement dit un second tour Macron-Le Pen dont, cette fois, la « blonde » pourrait bien sortir vainqueur. La « gauche » est en miettes et son seul espoir qu’incarnait la France insoumise s’est montrée incapable lors des élections européennes de clarifier sa position. Ayant fait le choix, avec une Manon Aubry, de ne chercher que le vote de la petite-bourgeoisie éduquée, il a, comme Jeremy Corbyn, lâché la proie pour l’ombre, avec le succès que l’on sait… Et rien dans ce que nous connaissons aujourd’hui ne conduit à penser que ces mêmes couches ne choisiront pas de « renverser la table » en se portant sur Marine Le Pen, comme l’on fait leurs homologues britanniques avec Boris Johnson ou Étatsuniennes avec Donald Trump, l’impopularité notoire de l’actuel occupant de l’Élysée jouant cette fois pleinement.

 

Il ne reste que peu de temps pour redresser la barre. Si d’aventure le « mouvement social » devait être défait dans le combat qu’il livre actuellement sur les retraites, on voit mal ce qui pourrait alors conjurer ce sombre pronostic. Croisons les doigts…

 

@ suivre…

 

P.S. : on me signale un post de Jean-Luc Mélenchon (voir ici) intitulé « Corbyn : la synthèse mène au désastre ». Effectivement, mais c’est un peu court Méluche

 



13/12/2019
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