Un monde de plus en plus inquiétant
Dimanche 4 novembre 2018
Sujets abordés :
- Brésil : sous couvert de justice, la réaction à l’œuvre
- Hausse du prix de l’énergie : une épreuve pour Emmanuel Macron
- Midterms : Trump va-t-il réussir l’essai ?
- Nouvelle-Calédonie : un référendum pour rien ?
- L’OTAN montre ses muscles
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- Brésil : sous couvert de justice, la réaction à l’œuvre
Chose promise, chose due, nous commençons ce billet par l’événement majeur qu’est l’arrivée au pouvoir au Brésil de Jair Bolsonaro.
C’est sans suspense que le capitaine de réserve Jair Bolsonaro a été élu à la tête du Brésil ce dimanche 28 octobre avec plus de 55 % des suffrages exprimés. Après un premier tour à 46 % face à son principal adversaire, Fernando Haddad, le candidat du PT à un peu plus de 29 %, on voyait mal comment cette élection aurait pu lui échapper. Cette élection d’un homme que de nombreux observateurs décrivent volontiers comme extrémiste de droite, misogyne, raciste, vulgaire, « Trump brésilien », etc. invite à revenir sur le processus qui a pu conduire à ce résultat. Il nous faut donc rappeler brièvement l’histoire récente du Brésil, autrement dit les 25 dernières années.
Comme de nombreux pays d’Amérique latine – Bolivie (1971-1978), Uruguay (1973-1985), Chili (1973-1990), Argentine (1976-1983) –, le Brésil a connu une dictature militaire de 1964 à 1985. Arrestation des opposants, torture systématique, assassinats politiques, etc. avec toutefois une différence notoire en ce que la répression, si elle ne fut pas tendre, ne fut pas aussi sanglante et systématique qu’en Uruguay, au Chili ou en Argentine et en ce que les militaires au pouvoir ont mené une politique économiquement dirigiste, autrement dit à l’opposé des purges libérales qui ont pu, par exemple, être menées au Chili sous l’impulsion des Chicago Boys et que durant ces 21 années, le Congrès a continué de siéger (pour plus de détails, voir ici).
En 1985, le pouvoir est remis aux civils, les militaires s’effacent pour peu que le pays consente à ne pas leur chercher noises, des élections amènent Tancredo Neves au pouvoir. En 2003, la gauche arrive au pouvoir au Brésil avec l’élection de Luiz Inácio Lula da Silva, plus connu sous le nom de Lula, ouvrier métallurgiste de profession, syndicaliste, un des fondateurs du Parti des travailleurs, mouvement d'inspiration socialiste. Réélu en 2006, et ne pouvant se représenter pour un troisième mandat consécutif, il invite son parti à investir sa chef de cabinet, Dilma Rousseff, qui lui succédera en 2011. Économiste de formation, celle-ci sera réélue en 2014 et gouvernera le Brésil jusqu’en 2016, date à laquelle le Congrès la destituera.
Dilma Rousseff et Lula Da Silva
De 2003 à 2016, on peut donc dire que l’État brésilien est dirigé par un membre du PT. Il faut toutefois observer qu’à aucun moment de ces 13 années, le PT n’a eu la majorité absolue des sièges au Congrès. En d’autres termes, pour mener sa politique, il a dû passer des alliances avec d’autres partis et, ce faisant et parce qu’il en va ainsi du « jeu politique » au Brésil, il a dû faire alliance avec des partis qui ne consentent leur appui qu’en raison de renvois d’ascenseur coûteux en termes de places, de prébendes et avantages divers… Ces coûteux compromis permettaient de gouverner et, dans une période – au moins jusqu’en 2008 – où l’économie se portait bien, ne parlait-on pas alors de « miracle brésilien », le PT a conduit une politique sociale ambitieuse qui a sorti des millions de brésiliens de la misère (avec la Bolsa Família, par exemple) et permis à leurs enfants d’aller à l’école qui, jusque-là, leur était de fait interdite. Il a mené des politiques de discrimination positive, équivalent de l’affirmative action aux USA, qui a mené nombre d’entre eux sur les bancs de l’université. En d’autres termes, la politique menée par le PT fut une politique sociale-démocrate keynésienne, une politique qui a permis des progrès sociaux sans rien toucher au fond du système et à la hiérarchie sociale existante. Présenter le PT comme un parti « gauchiste » comme le fait aujourd’hui Jair Bolsonaro est évidemment une absurdité.
Le « compromis social » initié par le PT trouve ses limites avec la crise de 2008. La grande bourgeoisie brésilienne qui tient toujours les rênes économiques du pays entend alors profiter de l’aubaine que lui donnent les difficultés qu’a le PT à diriger le pays en période de vaches maigres (chute des cours des matières premières sur les marchés mondiaux : croissance nulle puis récession, baisse de l'investissement, de la consommation et du commerce extérieur, hausse du chômage). Le scandale Petrobas, du nom de la principale entreprise pétrolière du pays sous contrôle de l’État, lui permet, à travers des juges indépendants du pouvoir politique mais dont les origines sociales et le niveau de vie (50 fois le salaire minimum pour certains d’entre eux, sans préjuger de leurs revenus dans le privé) a tout à voir avec la sienne, de conduire une opération « mains propres » qui vise les principaux dirigeants du PT et une partie de ceux qui ont consenti à faire alliance avec lui pour qu’il gouverne. Pendant ce temps, la misère se répand et, avec elle, une « insécurité » record (60 000 assassinats en 2014, plus de 160 par jour, en hausse de 25 % depuis 2005). Face aux difficultés économiques, Dilma Rousseff mène une politique d’austérité, un « tournant de la rigueur » qui coupe dans les dépenses sociales, notamment dans le programme phare de son prédécesseur Lula, Bolsa Família, d'éducation et dans l’investissement. En août 2015, environ 500 000 personnes manifestent pour demander la destitution de Dilma Rousseff, qui voit sa cote de popularité tomber sous les 10 %. À partir de septembre 2015, alors que le Brésil connait sa plus mauvaise période de croissance en 25 ans (recul du PIB de 3,8 % en 2015), plusieurs agences de notation financière dégradent la note du pays et relèvent l’échec des mesures d'austérité qui ont été prises.
Faute de pouvoir formellement accuser Dilma Rousseff de corruption – même si elle a présidé la société Petrobas de 2003 à 2010 et qu’elle a été accusée d’avoir pu faire campagne avec des fonds venant d’elle – une procédure d’impeachment est menée contre elle au Congrès au motif que, comme tous les gouvernements du monde, elle a fait de la « cavalerie budgétaire » en maquillant quelque peu les comptes afin qu’ils soient en apparence en équilibre, ce que réclame la constitution brésilienne. Le procureur fédéral chargé du dossier a beau estimer que les procédures comptables pour lesquelles elle est mise en cause ne constituent pas un délit, cette affaire de maquillage de budget servira de prétexte à ses opposants rejoints par ses alliés hors PT (PMDB, PP, PRB, PSD) pour mener à son terme la procédure qui conduira à sa destitution le 17 avril 2016 par 367 voix contre 137 après que l’ensemble des médias du pays, tenus par six grandes familles, ont mené une intense campagne en ce sens. Le 12 mai qui suit, le Sénat vote la suspension de ses fonctions pour une durée maximale de 180 jours par 55 voix contre 22. Et même si trois experts du Sénat la disculpent des accusations de manœuvres fiscales dont elle est la cible, le Sénat la destitue le 31 août par 61 voix contre 20. Durant toute cette période d’incertitude, c’est Michel Temer, vice-président et chef du PMDB qui préside. C’est l’homme de la trahison, c’est aussi l’un de ceux sur lequel pèsent de lourds soupçons de corruption et c’est celui qui va conduire une politique de régression sociale manifeste (suppression des « pharmacies populaires » créées en 2004 sous la présidence de Lula qui permettaient aux plus défavorisés de se procurer des médicaments à bas prix, annulation de certaines lois sur la lutte contre la déforestation et sur la protection des territoires des indigènes, privatisation d’aéroports, d’installations électriques et pétrolières, baisse du salaire horaire et report de l’âge de départ à la retraite, etc.) en sorte que la Brésil a connu en 2017 une augmentation de 11 % de l’extrême pauvreté tandis que les inégalités reprenaient leur progression – l’indice de Gini passant de 0,555 à 0,567 – au point que Michel Temer bénéficiait de 5 % d’opinions favorables en juillet 2017 et qu’un sondage lui conférait 1 % d’intentions de vote en cas de candidature à la future présidentielle…
Après la destitution de Dilma Roussef et durant l’intermède Temer, le PT se cherche un candidat et choisit, sans doute faute de mieux, de demander à Lula de se représenter alors que ce dernier a été condamné à 9 ans de prison en première instance le 12 juillet 2017, confirmée en appel le 24 janvier 2018 par une condamnation à 12 ans de prison pour « corruption passive et blanchiment d’argent » au motif qu’il lui aurait été fait cadeau d’un triplex et aurait reçu 3,7 millions de reals. On notera, et ce n’est pas sans importance, que cette condamnation a été prononcée sur la seule « intime conviction » du juge puisque d’une part nulle preuve n’a pu être apportée que Lula était le propriétaire du triplex et que Leo Pinheiro, celui qui a dénoncé le « pot-de-vin », a très obligeamment vu sa peine réduite de 30 ans à 2 ans de prison par le juge Moro… dont on vient d’apprendre que Jair Bolsonaro entendait faire son ministre de la justice.
L’habeas corpus lui ayant été refusé par la Cour Suprême par six voix contre cinq, Lula est emprisonné et ne peut se représenter alors que tous les sondages lui donnaient une large avance au premier tour face à Jair Bolsonaro. Le PT ne pouvant plus présenter Lula, il se rabat sur Fernando Haddad, professeur de sciences politiques et d’économie à l’université de São Paulo, adhérent du PT depuis 1983, ministre de l’éducation entre 2005 et 2012 et ancien maire de São Paulo entre 2012 et 2016. Il est de ceux qui ont été la cheville ouvrière du dispositif permettant à des enfants des couches moyennes inférieures et, dans une moindre mesure, des classes pauvres d’aller à l’université. Il est cependant assez peu connu du grand public et son échec à la mairie de São Paulo en 2016 avec 16,7 % des voix n’était sans doute pas le signe le plus encourageant pour la présidentielle de 2018.
Il nous faut maintenant essayer de tirer de tout cela quelques leçons… Si nombre d’événements décrits ont tout à voir avec le Brésil et lui seul, on ne peut s’empêcher de penser que ce qui vient de s’y dérouler ne le concerne pas exclusivement…
On notera d’abord que celui qui vient de gagner l’élection présidentielle, Jair Bolsonaro, a toutes les faveurs de la grande bourgeoisie brésilienne et, avec elle, de l’ensemble de la presse brésilienne qu’elle contrôle, autrement dit à peu près tous les médias brésiliens. Ce soutien se double de celui de la finance mondiale comme en témoigne celui que lui a apporté son « journal de référence », WSJ, alias le Wall Street Journal via un texte sans ambigüité émanant du comité éditorial publié le 8 octobre dernier intitulé « Brazilian Swamp Drainer », que l’on pourrait traduire en français par « le Brésilien qui assèche le marécage ». Le programme très libéral de Jair Bolsonaro a manifestement le même effet sur le WSJ que l’avait celui d’Augusto Pinochet que le WSJ avait soutenu en son temps.
On peut ensuite se demander comment les classes populaires, largement majoritaires au Brésil, ont pu faire défaut au candidat du PT. Une première explication, largement relayée dans les médias, est la forte implication des églises « évangéliques », autrement dit de cette forme très particulière de protestantisme qui sévit outre-Atlantique. On dit qu’elles influencent 25 à 30 % du corps électoral et nul ne doute qu’elles ont œuvré de toutes leurs forces en faveur du candidat d’extrême-droite. Il se dit aussi que ces églises sont à ce point réactionnaires sur le plan des mœurs que l’église catholique, dominante au Brésil, peut encore passer pour modérée voire « progressiste ». Il se dit enfin que l’insécurité n’est pas seulement un « sentiment » mais une dure réalité qui frappe toutes ces populations pauvres. Ce ne sont pas dans les beaux quartiers qu’on assassine mais dans les favelas de Rio et d’ailleurs. De sorte que quand Jair Bolsonaro promet de « faire le ménage », de permettre aux policiers de tirer à vue voire de libéraliser la vente d’armes auprès du grand public, le discours peut plaire. Si l’on y ajoute une dose de démagogie sur la chasse aux corrompus que seraient les politiciens, ça a pu marcher. Toutes ces raisons ne sont pas exclusives les unes des autres. Tel peut être sensible à l’une quand le voisin sera sensible à l’autre, les deux votant pour le même, Jair Bolsonaro, qui a su se faire connaître du grand public par ses outrances, sa virulence, ses attaques homophobes ou sexistes et racistes, sa conversion au pentecôtisme, etc.
Il reste que cette candidature n’a pu triompher que parce que le terrain lui avait été soigneusement préparé et, de ce point de vue, la destitution de Dilma Rousseff dans un premier temps, la condamnation sans preuve de Lula dans un second, ne peuvent être le seul fruit du hasard. Le Brésil a bien connu un « coup d’État judiciaire » qui, au nom d’une lutte contre la corruption, a permis à la grande bourgeoisie brésilienne de prendre sa revanche. La « gauche » française « bien-pensante » serait bien inspirée de méditer cela à l’heure où l’on cherche pouille dans le crâne d’un Jean-Luc Mélenchon chez nous…
Quant à l’argument selon lequel Jair Bolsonaro aurait largement utilisé les réseaux sociaux pour diffuser des « fake news », sans doute faut-il l’entendre puisqu’il a une réalité certaine tel ce message diffusé à des millions d’exemplaires via WhatsApp qui prétend que Fernando Haddad est celui qui a promu la « théorie du genre » dans les écoles…
« Personne ne naît garçon ou fille.
Chacun peut être ce qu'il veut.
Voilà ce qu'enseigne Haddad dans les écoles.
Demain ce sera peut-être trop tard ! »
On retrouve là l’argument préféré des partisans d’Hillary Clinton pour expliquer sa défaite. Il en va de la carte électorale états-unienne comme de la brésilienne : elle montre que tant Trump que Bolsonaro ont su convaincre une fraction significative des couches populaires et que ceci n’a été possible que parce que le parti démocrate pour les uns, le PT pour les autres, ont en partie ou totalement abandonné ces couches populaires touchées par le chômage, la crise, etc. Cette intox, ces « fake news », tous ces discours réactionnaires n’auraient pas trouvé de terrain d’élection si le PT n’avait convaincu les catégories populaires qu’il les avait en partie abandonnées. On comprend bien que ceux qui croient que la justice brésilienne va donner suite aux plaintes déposées pour diffusion de fausses nouvelles et prononcer l’annulation de l’élection ressemblent à s’y méprendre à ceux qui pensent que Donald Trump sera destitué au motif qu’il serait fou. Tous ces espoirs témoignent seulement de la stupidité de cette gauche « intellectuelle » qui ne comprend rien aux enjeux de pouvoir, rêve d’indépendance de la justice, d’Europe sociale, etc. (et l’on songe ici à Appel sans suite (2), billet assassin que Frédéric Lordon vient de lui adresser récemment sur son blog).
Le Brésil va à coup sûr vivre des heures sombres. Sa politique étrangère va changer en s’alignant sur l’Oncle Sam, autrement dit sur Donald Trump. Premier signe de cet alignement, avant même d’avoir pris ses fonctions, Jair Bolsonaro vient d’annoncer que l’ambassade du Brésil en Israël déménagerait à Jérusalem. Il est clair également que le Venezuela est dans la ligne de mire. Et, avec lui, d’autres régimes qui, en Amérique latine, ont le mauvais goût de déplaire aux USA. La levée partielle du blocus de Cuba que Barak Obama avait initiée est moribonde. D’un point de vue géostratégique, l’arrivée au pouvoir de Bolsonaro dans cette région du monde est une secousse tellurique.
Il reste que, par-delà le seul cas brésilien et ses spécificités, le virage vers l’extrême-droite que prennent de plus en plus de pays est très inquiétant. Les causes peuvent en apparence varier mais, au fond, la globalisation avec l’extension de la misère, l’aggravation des inégalités et la peur du déclassement qu’elle induit semble bien être le moteur essentiel de ce virage. Reste, pour ceux qui ne s’en accommodent pas, à conjurer ces menaces, à faire en sorte que toutes ces colères ne se transforment pas en cauchemar, autrement dit non pas à les nier, les mépriser, mais les comprendre et leur donner une direction, un sens, une perspective. Ne se souciant le plus souvent que des marges, il est rien de moins sûr que la gauche y parvienne…
- Hausse du prix de l’énergie : une épreuve pour Emmanuel Macron
Une pétition fait actuellement le buzz en recueillant, à l’heure où est publié ce billet, plus de 700 000 signatures (voir ici). Le titre de la pétition est éloquent : « Pour une baisse des prix du carburant à la pompe ! ». À l’origine de la pétition lancée sur change.org, une jeune banlieusarde de 32 ans, Priscillia Ludosky, résidant à Savigny-le-Temple en Seine-et-Marne, qui, manifestement, en a un peu ras-le-bol de voir sa facture augmenter à chaque passage dans une station-service…
Ce ras-le-bol trouve un écho certain auprès de tous ceux qui, contraints et forcés, n’ont d’autre choix que de se servir de leur véhicule et, ce faisant, voient leur pouvoir d’achat se réduire. En cause, s’agissant des carburants, les taxes que l’État prélève qu’elle illustre de la façon suivante sur Twitter :
Pour partiel que soit ce graphique, on comprend bien que ce qui est mis en cause c’est le montant des taxes perçues par l’État sur les carburants. Pour du sans plomb à 1,53 €/l, ce ne sont pas moins de 1,05 € de taxes, autrement dit plus de 68 % de taxes. Le même calcul concernant le diesel, donne plus de 66 %. Le mode de calcul de toutes ces taxes étant ce qu’il est, plus le prix du brent augmente, plus l’État empoche.
Feignant de croire que la pétition ne mettait en cause que l’augmentation du prix du diesel, le gouvernement a cru bon d’expliquer qu’il s’agissait là d’une mesure écologique. En gros, si on le comprend bien, on va faire avec le carburant ce qu’on fait déjà avec le tabac, taper à la caisse pour induire une baisse de la consommation. L’ennui, c’est que si, effectivement, on peut baisser, voir arrêter de fumer, la plus grande partie des gens qui se servent de leur voiture ne le font nullement pour faire du tourisme, pour se promener, mais pour aller travailler et faire des courses qu’il leur est impossible de faire sans voiture. On songe aux courses hebdomadaires dans un grand supermarché ou à la petite virée chez Ikea… L’ennui aussi, c’est que s’il est vrai que le diesel pose des problèmes de particules fines, les propriétaires de véhicule diesel n’ont choisi cette motorisation que parce que le carburant était significativement moins cher que l’essence et, ce, d’autant plus, que les véhicules diesel consomment moins. Et, comme le dit la pétition, qui a les moyens de changer de voiture et, mieux encore, d’acheter un véhicule hybride ou électrique ? Toute une population, la plus pauvre pour l’essentiel, est donc prisonnière et, de ce fait, rançonnée. Si, en plus, les mêmes, ont entrepris de remplir leur cuve pour l’hiver qui approche, ils n’auront pas manqué, là aussi, de remarquer la différence avec la facture de l’an dernier. Quant à ceux qui se chauffent au gaz, bien le bonjour aussi, puisque celui-ci a subi une hausse moyenne de 21 % depuis le mois de janvier (dont 5,79 % pour le seul mois de novembre) !
Source : https://selectra.info/energie/guides/tarifs/gaz/evolution
Bref, pendant que le gouvernement tente de vendre sa salade sur l’augmentation du pouvoir d’achat à travers la suppression de la taxe d’habitation ou la baisse des cotisations sociales, le citoyen-consommateur a de plus en plus de mal à faire face à ses dépenses incompressibles que sont le chauffage et les déplacements. La réforme du code du travail, pour honteuse qu’elle soit, ne touche pas directement au porte-monnaie. La hausse des prix de l’énergie, si ! La révolte gronde et rendez-vous est donné aux pétitionnaires et, plus largement, à toute cette population qui est dans la difficulté, de bloquer les routes le 17 novembre et d’en faire une journée sans achat.
Alors, bien sûr, il fallait s’y attendre, du côté des bobos qui sont largement desservis par des transports en commun, qui possèdent leur chez-soi, qui se promènent en trottinette ou en vélo électrique voire qui disposent des moyens leur permettant de posséder un véhicule électrique ou hybride rechargeable, qui n’aiment rien tant que le bio et tout ce qui va avec, la défense de la planète, des petits oiseaux, etc., cette pétition est un affront, relève d’un affreux populisme. Pour contrer ce qui, à leurs yeux, n’est qu’une jacquerie, ils ont lancé un « hashtag », #SansMoiLe17. À l’origine, des militants LREM qui expliquent que ce mouvement du 17 novembre est initié par l’extrême-droite (DlF et RN).
S’il est vrai que tant Nicolas Dupont-Aignan que certains responsables du RN soutiennent l’initiative, il est toutefois bien difficile de faire le lien entre l’initiatrice de la pétition et ces mouvements...
Priscillia Ludosky : « Je suis passée de 45 à 70 € le plein »
Si l’on comprend bien que, tant par la sociologie de ses membres que par son parti-pris gouvernemental, LREM aille contre ce mouvement, il n’est pas sans intérêt d’observer les réactions d’autres acteurs politiques. Ainsi, à La France Insoumise qui, comme on le sait, fait volontiers profession de foi écologique, est-on quelque peu gêné aux entournures. D’un côté, on comprend que le « peuple » confronté aux fins de mois difficiles en ait un peu marre de servir de vache à lait à travers les taxes sur les carburants, la pluie de PV qui tombent avec le stationnement ou les 80 km/h. Mais, dans ses rangs, s’expriment aussi toute cette mouvance écolo qui est favorable à ce que Ségolène Royal avait un moment pointé comme étant « l’écologie punitive ». On a donc pu entendre Jean-Luc Mélenchon expliquer durant son meeting à Lille le 30 octobre que ceux des Insoumis qui vont manifester le 17 ont raison de le faire et que ceux qui s’y refusent ont également raison (voir ici). Bonjour le jésuitisme qui rappelle, d’une certaine façon, son refus de se positionner sur un appel à voter Macron au soir du 1er tour de la présidentielle au motif que si certains Insoumis, dont lui-même manifestement, allaient voter Macron au 2nd tour, d’autres se refusaient à le faire. Ce refus de prendre position est le signe d’une division sur le sujet tant du mouvement lui-même que, plus largement, de son électorat qui, comme on le sait, est fort disparate. Et on songe à cette maxime que n’ignore manifestement pas Jean-Luc Mélenchon et qu’on prête au Cardinal de Retz : « on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens ».
À noter que le 17 novembre étant un samedi, on peut s’interroger sur l’efficacité cherchée par les initiateurs de cet appel au blocage ce jour-là. Qui vont-ils bloquer dans un pays où le week-end commence, pour beaucoup, le vendredi en milieu d’après-midi ? Enfin, quoi qu’il en soit, seront scrutés ce jour-là le nombre d’automobilistes qui afficheront leur gilet jaune sur leur pare-brise, les péages d’autoroutes bloqués, les rassemblements, etc. Comment le pouvoir va-t-il réagir ? Acceptera-t-il de discuter et avec qui ? Nombre de questions qui sont d’ores-et-déjà posées à Matignon et bien sûr à l’Élysée qui, au passage, est ravie de voir le premier ministre monter en première ligne sur ce dossier avec le secret espoir de voir sa cote de popularité descendre à cette occasion…
À plusieurs endroits du pays, la police et la gendarmerie confisquent les gilets jaunes des automobilistes
afin de compliquer l’organisation de cette révolte nationale contre la hausse du prix de l’essence.
- Midterms: Trump va-t-il réussir l’essai ?
On le sait, la vie d’un président des États-Unis n’est jamais simple. À peine installé dans le bureau ovale qu’il doit affronter les midterms, ces élections de mi-mandat qui visent à renouveler 35 des 100 sièges des sénateurs et la totalité des 435 sièges à la Chambre des représentants, l’équivalent de notre Assemblée nationale. La participation à ce scrutin est des plus faibles – 36 % en 2014 – et, la plupart du temps, ces élections aboutissent à une cohabitation puisque le président perd sa majorité dans l’une des deux chambres voire dans les deux. C’est ce qui est arrivé à Barak Obama dès son premier mandat en 2014 et c’est ce qui risque de se produire pour Donald Trump ce 6 novembre.
Afin de contrecarrer cette perspective, Donald Trump fait du Donald Trump, autrement dit fait dans l’outrance qu’on lui connaît si bien. Deux sujets sont mis en avant : l’emploi et l’immigration.
Sur le premier point, il s’appuie sur les bons chiffres du chômage, autrement dit un taux de 3,9 % que les économistes qualifient de « plein emploi ». Outre que ce bon chiffre a peu à voir avec la politique qu’il a menée, ce taux cache une réalité dramatique, à savoir que 60 millions d’étatsuniens en âge de travailler ont renoncé à chercher un emploi, ce qui les exclut des statistiques. Ce « plein emploi » cache donc une misère profonde de millions d’américains que l’on retrouve dans des caravanes, des égouts des grandes villes, etc. Et on passera sous silence l’extraordinaire taux d’incarcération que connaît le pays. De sorte que l’espérance de vie d’un étatsunien est, en 2018, inférieure à celle d’un cubain !
L’agence Associated Press a annoncé que 80% de la population américaine vivait dans la précarité.
Quant au second volet, l’immigration, Donald Trump est servi par l’actualité puisque depuis quelques semaines s’est constituée une caravane de migrants en provenance, pour l’essentiel, du Honduras, caravane qui a passé la frontière sud du Mexique et dont la destination est connue : les États-Unis. Face à cela, Donald Trump a vu l’occasion de resserrer les rangs, crie à l’invasion barbare et a décidé de mobiliser 15 000 soldats à la frontière mexicaine avec ordre de tirer en cas d’intrusion.
Caravane de migrants honduriens en route vers les USA
Il complète cela par une remise en cause du droit du sol qui fait l’objet du 14ème amendement qui dit que « toute personne née ou naturalisée aux États-Unis, et soumise à leur juridiction, est citoyen des États-Unis et de l’État dans lequel elle réside ». Il va sans dire que Donald Trump sait parfaitement que sa proposition de remise en cause de ce 14ème amendement de la Constitution n’a aucune chance de passer, l’essentiel pour lui est de mobiliser ses troupes, de les convaincre d’aller voter le 6 novembre. Et il est clair qu’une des clés du scrutin sera précisément de savoir qui va se déplacer. Les « beaux quartiers » ne manquent jamais le rendez-vous mais même si ceux-ci ont été largement favorisés par ses mesures fiscales, ce ne sont pas eux qui décideront de l’élection dans les swing-states, autrement ces États qui, comme le Texas, sont sur la sellette. Le parti démocrate doit conquérir 23 sièges à la chambre des représentants pour y conquérir la majorité absolue et deux sièges au Sénat pour le même effet, sous réserve, bien sûr, de conserver ceux dont il dispose déjà.
- Nouvelle-Calédonie : un référendum pour rien ?
Sur un « caillou » qui compte 275 000 personnes, 174 154 électeurs sont appelés ce dimanche, à répondre à la question « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? ». S’il est hors de question de refaire ici l’histoire de ce territoire, disons tout de même que, contrairement à La Réunion, par exemple, il se caractérise par le fait qu’il a été une « colonie de peuplement » et que, de ce fait, y cohabitent une population d’origine européenne, les « caldoches », qui tient l’essentiel de l’économie de l’île et une population « autochtone », les « kanaks » qui constitue 39 % de la population du territoire aujourd’hui. Ce référendum est le fruit tardif des événements de la grotte d’Ouvéa en 1988 au cours desquels 19 kanaks et deux gendarmes ont été tués, événements qui conduiront aux « accords de Matignon » en juin de la même année, suivis des « accords de Nouméa » signés en 1998 prévoyant l’organisation du référendum qui se déroule ce dimanche.
Le résultat de ce référendum ne fait guère de doute : le « non » devrait largement l’emporter d’une part parce que les caldoches vont massivement voter en faveur du non mais aussi parce que la population kanak est aujourd’hui divisée, un parti kanak appelant même à ne pas participer à ce scrutin. Au-delà de cet aspect purement électoral, une réalité se fait jour : d’un part le rééquilibrage des pouvoirs entre caldoches et kanaks n’a pas porté les fruits escomptés, d’autre part, au fil des ans, le mode de vie « occidental » s’impose y compris chez les kanaks. La « coutume » qui prévaut dans les tribus kanaks apparaît de plus en plus aux jeunes happés par la modernité comme une incongruité.
Est-il besoin de dire également que la Nouvelle-Calédonie jouit d’une large autonomie, d’un gouvernement local qui contrôle à peu près tout en dehors de la défense et de la monnaie puisque le Franc pacifique est arrimé à l’euro (1 € = 119 FCFP) tout comme l’est d’ailleurs le franc CFA en Afrique francophone (1 EUR = 655,957 FCFA)… Les lois sociales qui s’appliquent, la sécurité sociale et les retraites sont, par exemple, du domaine de compétence de ce gouvernement, ce qui n’est pas sans poser problème puisque, sur de nombreux points, elles sont en retrait par rapport à ce qui s’applique en métropole.
Dans un contexte où l’essentiel de l’économie de l’île tient à une matière première, le nickel, dont les cours sont en baisse, la perspective de « larguer les amarres », de devoir faire face seul aux tempêtes venues du large avec une Australie « voisine » dominatrice et une Chine en forte croissance qui tend à s’étendre dans tout le Pacifique ne constitue pas forcément l’assurance d’un avenir calme et radieux. Reste qu’au lendemain de ce référendum sans suspense, les problèmes de cohabitation de toutes ces populations aux niveaux de vie et aux mœurs très différents ne seront évidemment pas réglés. On se consolera en se disant qu’ils ne l’eussent peut-être pas davantage été en cas de victoire du « oui » et que, en Nouvelle-Calédonie comme ailleurs, le « communautarisme » qui prévaut est un pis-aller qui évite de régler les problèmes de fond, voire même de les penser.
- L’OTAN montre ses muscles
On admirera les « pudeurs de violette » dont ont fait preuve les médias mainstream sur « Trident Juncture », les manœuvres de l’OTAN qui se déroulent actuellement au large de la Norvège et on se souviendra en retour de leurs vives réactions aux manœuvres récentes de la Russie, Vostok-2018, dont nous avions fait état dans un billet posté mi-septembre. Ces manœuvres de l’OTAN engagent 50 000 hommes de troupe, des avions en grand nombre, des sous-marins, des navires de guerre, le tout s’activant à 1 000 km dans les mers et 500 km dans les airs de la frontière russe. On imagine la réaction de l’Oncle Sam et de ses alliés si une telle proximité était le fait de militaires russes au large des côtes des USA, au Mexique, à Cuba ou au Nicaragua, par exemple…
En tout état de cause, tout le monde sent bien que l’ensemble de ces démonstrations de forces, toutes qualifiées de « défensives », traduisent un état du monde pour le moins inquiétant. Au passage, tout ce que notre pays compte d’« eurobéats », tel Emmanuel Macron, ne peuvent pas ne pas avoir remarqué que la Belgique vient d’enterrer leur maigre espoir de voir un jour se constituer une « défense européenne ». En effet, le gouvernement belge vient, ce 25 octobre, d’officialiser l’achat de 34 avions de chasse F-35 de fabrication US au détriment de l’offre du consortium européen de l’Eurofighter Typhoon et du Rafale de Dassault. Ce choix intervient après celui fait, dans le même sens, du Royaume-Uni, des Pays-Bas, de l’Italie et du Danemark… On peut penser que l’Allemagne, qui doit prochainement signer un accord du même type, saura sans doute voir là l’occasion de se faire pardonner du grand frère et protecteur US afin de se garantir de sanctions américaines dont la menace Donald Trump à l’endroit de son industrie automobile. Autant dire que « l’Europe de la Défense » est morte avant d’avoir vécu, une variété particulière d’avortement, en quelque sorte… Il en va de l’Europe de la défense comme de l’Europe sociale, elle n’existe que dans la tête de ceux qui, en fait, consente à cette Europe hors-sol qui n’existe que dans leurs rêves et n’a jamais eu la moindre chance de voir le jour.
F-35 à l’atterrissage
@ suivre…
P.S. : ne désirant pas assommer le lecteur, impasse a été faite ici sur le renforcement des sanctions américaines contre l’Iran avec le risque qu’elles font peser sur le détroit d’Ormuz dans lequel passe la quasi-totalité du pétrole du Moyen-Orient. Idem avec la forte baisse de la cote de popularité de Jean-Luc Mélenchon suite aux perquisitions que l’on sait (-7 points, à 23% d’avis favorables, et 70% d’avis défavorables, +9) qui montre que l’objectif visé par cette entreprise judiciaire macronienne est en passe d’être atteint, quelles que soient les bonnes raisons qui ont pu motiver l’intéressé de réagir comme il l’a fait. Idem, enfin, avec la réforme de la PMA qui pointe le bout de son nez et un Macron qui compte refaire le coup de François Hollande avec le « mariage pour tous », etc. De tout cela, nous aurons bien sûr l’occasion de reparler.
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