Quel monde !
Dimanche 22 octobre 2017
Sujets abordés :
- PLF 2018 : ISF et “flat tax” pour l’essentiel…
- Loi travail : la défaite syndicale se profile
- Catalogne libre ?
- La loi du silence
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- PLF 2018 : ISF et “flat tax” pour l’essentiel…
L’Assemblée nationale examine depuis quelques temps le PLF 2018, entendez le “Projet de loi de finances”, ce que le commun des mortels appelle le budget de l’État pour l’année 2018. Un budget, faut-il le rappeler, n’est que la mise en ordre de ce que l’État prévoit de dépenser pour l’année considérée sur la base de rentrées fiscales évaluées « au doigt mouillé », c’est-à-dire dans un registre qui va de la méthode Coué aux prévisions de croissance dont le degré de scientificité est pour le moins discutable. Comme on le sait depuis longtemps, il y parfois loin de la coupe aux lèvres et le gouvernement se réserve le droit de faire voter une loi de finances rectificative en cours d’année et de procéder à des annulations de crédits, autrement dit de priver des administrations des crédits que le parlement lui avait votés. Ce budget, comme beaucoup d’autres avant lui – on serait tenté de dire, comme tous les autres avant lui – n’est qu’une ébauche. Pour autant, on a coutume de dire qu’il est l’expression même d’une politique et c’est, sur ce principe, que selon qu’un parlementaire le vote ou pas, il sera considéré comme soutenant ou pas le gouvernement, comme étant dans l’opposition ou pas.
L’Histoire retiendra de ce premier budget de la mandature Macron qu’il fut l’expression d’une politique en ce qu’il mit fin à l’ISF et, via la « flat tax » sur les revenus mobiliers (autrement dit les revenus qu’une personne physique tire des actions qu’elle possède), qu’il a décidé de traiter différemment les revenus du capital et ceux du travail. L’opinion publique s’est focalisée sur l’ISF, réputée être un marqueur d’une politique « de gauche », par ce qu’elle contient de symbole d’une politique qui, via sa quasi suppression, s’affiche « de droite ». Le gouvernement a beau faire, a beau dire, tout le monde retient de cette affaire d’ISF que c’est un cadeau fait aux plus riches sans que jamais la promesse de voir ces gens-là placer leur argent ainsi économisé dans « l’économie réelle » n’ait la moindre chance de voir le moindre début de réalité. Les députés se disant de gauche à l’Assemblée ont donc pris un malin plaisir de demander au gouvernement d’afficher les conséquences de cette réforme sur les contribuables les plus aisés via quelques calculs que Bercy est parfaitement capable de faire sur le bénéfice que tireront de cette réforme le dernier décile, le dernier centile et même les 100 personnes payant le plus d’ISF. Gêné aux entournures, Bruno Le Maire, ministre de finances, s’est défaussé en expliquant que cela reviendrait à rompre le secret fiscal. Piètre réponse qui ne trompe personne : tous ceux qui se sont penchés sur cette question, y compris les médias « de cour » tels Le Monde, reconnaissent que plus on est riche, plus on bénéficie de cette réforme. Joël Giraud, rapporteur du budget à l’Assemblée nationale et député LREM, a répondu clairement « La transmission de données non nominatives agrégés par catégorie de population devrait permettre d’éviter que ma demande ne se heurte au secret fiscal ». Si même le rapporteur du budget, membre éminent de la majorité, le dit… Quant à ce que ces mesures fiscales soit faites « pour le riches », comme l’a aimablement souligné François Ruffin, il suffit de se référer à l’organe de presse marxiste qu’est le Financial Times pour s’en convaincre avec l’interview que Bruno Le Maire lui accorda en juillet disant crûment que « le gouvernement réfléchissait à des réductions d’impôts pour les riches » (sic)
Bien évidemment, miracle de la « démocratie à la française », autrement dit de la « monarchie présidentielle », toutes ces mesures seront votées à une large majorité, quoi qu’en pense le peuple dont cette assemblée est réputée être la représentation…
Le pire, dans toute cette affaire, n’est pas tant que tout ceci se fasse au bénéfice des plus riches mais qu’il se fasse en pure perte. Autrement dit que la théorie chère à Reagan et Thatcher du « ruissellement » soit un pur mirage aux alouettes, autrement dit des cadeaux inutiles et coûteux au regard des besoins réels de la population. Si l’on songe, par exemple, que cet argent rendu en pure perte représente 40 % du budget de l’Enseignement supérieur, quand on connaît les conditions faites aux étudiants, l’impossibilité dans laquelle est la moitié d’entre eux de faire des études en ce qu’ils doivent dans le même temps travailler pour pouvoir survivre, les amphis surchargés, les professeurs mal payés, etc. c’est une honte, une simple honte ! Sans doute l’ISF était-il un mauvais impôt en ce qu’il rapportait peu et que le « haut du panier » usant de divers dispositifs d’optimisation fiscale savait parfaitement s’en affranchir. Admettons ! Et faisons une réforme fiscale digne de ce nom : 14 tranches d’imposition avec un taux marginal de la dernière tranche égal à 90 %. Ce ne serait en rien révolutionnaire puisque c’est ce qu’on connu les États-Unis jusqu’à Reagan et ne sache pas qu’ils fussent alors un bastion marxisant confisquant la richesse des plus aisés. Comme en témoigne à l’envi de nombreux films, cela ne les empêchait nullement de posséder yachts, bijoux et jets privés… Mais cela faisait que les routes et les ponts étaient entretenus, contrairement à ce que ce pays vit aujourd’hui.
Autre mesure « qui pique », comme on dit de nos jours, la disparition programmée sur trois de la taxe d’habitation pour 80 % des foyers. Bien évidemment, la démagogie est au rendez-vous car nul ne songe sérieusement que l’État respectera sa parole, autrement dit compensera « à l’euro près ». Les collectivités locales n’auront donc d’autre choix que de presser davantage le citron des 20 % restants – les plus riches, en théorie – et de réduire la voilure, autrement dit de réduire le service public qu’elles assurent. On peut donc sans grand risque prévoir que vont s’élargir les zones dans lesquels les services publics sont absents et, bien sûr, que nombre d’entre elles compenseront cette disparition par une privatisation que les usagers devront payer. On a vu ce que ça a donné avec les autoroutes…
- Loi travail : la défaite syndicale se profile
La dernière journée d’action de la CGT a fait flop. Rangs clairsemés, il est clair que le « mouvement social » contre la réforme du code du travail ne prend pas. Ce n’est pas tant que cette réforme soit en quoi que ce soit populaire – elle ne l’est, à l’évidence pas – que le fait que les salariés, avec la loi El Khomri, ont intériorisé la défaite, se disent que toutes ces journées d’actions sont des salaires amputés en pure perte, que, quelle que soit l’ampleur des manifestations, le gouvernement passera en force. Ajoutons à cela que peu nombreux sont les grévistes, autrement dit que l’on est bien loin d’arriver à établir le rapport de force suffisant pour espérer voir le gouvernement reculer. Seuls y parviennent les secteurs en capacité de nuire tels les camionneurs et les dockers qui ont obtenu, dans leur secteur, de déroger à la réforme. Alors, bien sûr, la division syndicale n’est pas là pour aider. Ne voir s’opposer au gouvernement que la seule CGT, fut-elle flanquée de la petite Solidaires, tandis que la CFDT est aux abonnés absents et que celui qui fut l’un des ténors de la contestation de la loi El Khomri, Jean-Claude Mailly, se couche piteusement pour quelques lentilles (et même pas un plat), tout ceci n’aide pas. Mais, plus profondément, par-delà cette division syndicale, ce qui se joue c’est évidemment la capacité du syndicalisme à porter les revendications, à susciter envie de se battre et espoir d’obtenir un avenir meilleur. Les rangs syndicaux sont très clairsemés, on le sait. C’est aujourd’hui moins d’un salarié sur dix qui adhère à un syndicat. Et encore, ce chiffre est-il très variable selon les secteurs, tendant vers 0 dans les TPE-PME. Un salarié sur deux n’a aujourd’hui jamais rencontré un délégué syndical ! Et, ce, alors que ce pays est celui dans lequel le taux de couverture des salariés par une convention collective est le plus important (90 %). Paradoxal, non ? Et, bien sûr, le comble de cette affaire est précisément que cette réforme du code du travail aura comme principale conséquence que, précisément, les employeurs pourront déroger à la convention collective dont ils dépendent grâce à des accords d’entreprise qui, par définition, seront moins favorables aux salariés. C’est la remise en cause du « principe de faveur » qui est au cœur de cette réforme. La CFDT a tenté d’obtenir, en contrepartie, que soit mise en place, comme en Allemagne, une « cogestion à la française » via, par exemple, la présence avec voix délibérative de représentants des salariés dans les conseils d’administration. Le gouvernement l’a priée d’aller voir ailleurs… Si l’on ajoute à cela le fait que les organisations syndicales seront exclues de tout dialogue social préalable à la signature d’un accord d’entreprise dans les PME où n’existe aucun syndicat, on mesure combien ces gens-là, CFDT, FO, UNSA, etc., trahissent le mandat qui leur a été confié par leurs syndiqués. Enfin, last but not least, « cherry on the cake » comme on dit, la fusion de la représentation des personnels conduira à la réduction des « heures de représentation » des délégués syndicaux, autrement dit des moyens humains dont disposent les organisations syndicales. Il n’y a que la CFTC pour ne pas s’en inquiéter. Bonjour le « dialogue social » !
En d’autres termes, pendant que le gouvernement affiche que cette réforme conduira à un renforcement du « dialogue social », c’est à un véritable retour au XIXe siècle auquel on assiste : un patronat de droit divin qui entend être le seul maître à bord. Quand, par ailleurs, on mesure la grande nullité de nos « entrepreneurs », nullité dont témoigne à l’envi le dépeçage systématique de l’industrie du pays (STX, Alsthom, etc.) on mesure combien sont mortifères de telles réformes non seulement pour les salariés, mais plus largement, pour le pays lui-même.
Au passage, et aucun journal télévisé de grande écoute n’en a parlé, on vient d’assister à une grande première à Docelles dans les Vosges : UPM, papetier finlandais, vient de procéder à la destruction – Le Monde parle de « sabotage » ! – des machines de l’usine qu’il entend fermer. Cette usine n’est rien moins que l’une des plus vieille du pays ! « Les uns après les autres, les lourds cylindres de métal utilisés pour transformer la pâte en papier ont donc été systématiquement percés. Il y en avait plusieurs dizaines. « Ils ont même cassé un cylindre neuf, encore dans sa boîte, qui valait de l’ordre de 700 000 euros », confie, estomaqué, un de ceux qui ont constaté les dégâts ». Comment ne pas suivre le maire de Docelle, Christian Tarantola, quand il rappelle que « Quand les canuts ont brisé les machines à tisser, à Lyon, dans les années 1830, on a trouvé cela abominable. Là, c’est le propriétaire… » L’article du Monde, pour une fois, vaut le détour. Il est ici.
- Catalogne libre ?
Le bras de fer entre Madrid et Barcelone se poursuit et le « gouvernement central » de Mariano Rajoy vient de se voir autorisé par son conseil des ministres de présenter un texte au Sénat, texte dont l’objet sera de lui permettre d’user de l’article 155 de la constitution espagnole, article lui permettant de mettre fin à l’autonomie de la province, de prendre le contrôle de l’exécutif catalan, de la police régionale et de mettre sous tutelle le parlement, avec en ligne de mire l’organisation d‘élections régionales début 2018. Le Sénat devrait donner son accord vendredi prochain. Du côté indépendantiste, c’est un peu la zizanie entre les tenants d’une ligne « souple », celle de Carles Puigdemont, et ceux qui crient à la trahison dès lors que ce dernier s’est refusé à proclamer l’indépendance au lendemain du référendum. Sans doute conscients du fait qu’il ne va pas de soi qu’une majorité des catalans soient ou restent de leur côté – 2,02 des 5,34 millions d’électeurs se sont exprimées en faveur de l’indépendance lors du dernier référendum – Puigdemont et les siens essaient de temporiser. Mais le fait qu’un grand nombre d’entreprises, dont les plus grandes banques telle l’emblématique Caixa Bank, aient choisi de déplacer leur siège social hors de la province pèse et la lassitude se fait jour chez de nombreux catalans. C’est probablement là-dessus que compte le pouvoir central lorsqu’il envisage de refaire des élections en début d’année prochaine. Nul ne sait cependant ce qu’il adviendra si ces élections redonnent une majorité aux catalanistes. On est donc devant un feuilleton au long cours dans lequel tous les coups seront permis.
Sur un terrain plus large, nombreux sont les dirigeants européens qui voient avec terreur les micro-nationalismes renaître de leurs cendres. Les frontières sont réputées intangibles mais des forces centrifuges se font jour à l’intérieur même des États. Ainsi en va-t-il de l’Écosse qui entend refaire un vote sur l’indépendance suite au Brexit. Que dire du vieux différent belge entre Wallons et Flamands et de la menace que font peser ces derniers sur le devenir de cet État ? Mais on songe aussi, dans la même ligne, à ces provinces italiennes (Vénétie, Lombardie) qui demandent toujours plus d’autonomie au motif de ne pas payer pour les pauvres, pour le sud du pays ? Dans notre pays, la question Corse reste pendante… Bref, pendant que l’Europe fait tout pour écraser les nations, tout pour ôter tout pouvoir réel aux États via des directives libérales qui ont force de loi, ces derniers, affaiblis et réduits au rôle d’organisateurs de l’austérité générale se voient contestés en leur sein en sorte que ce qui se profile c’est une explosion des frontières sans que, pour autant, ne naisse jamais un véritable sentiment national européen alors qu’au contraire se renforcent les micro-nationalismes. Bref, un « vaste foutoir » lourd de menaces dans lequel les identitaires de tout poil font leur marché, avec succès, hélas.
Observons que « l’intangibilité des frontières » dont se prévalent les dirigeants européens relève du mythe dès lors que l’Europe n’a rien trouvé à redire à l’explosion de la Yougoslavie et que l’Allemagne a même tout fait pour l’y aider en étant la première à reconnaître la Slovénie, sans parler de la reconnaissance ultérieure du Kosovo qui revenait, de fait, à amputer la Serbie de rien moins que de son foyer historique. Que tous ces gribouilles viennent aujourd’hui se réfugier derrière « l’intangibilité des frontières » est d’une cruelle ironie.
- La loi du silence
L'affaire Weinstein qui frappe Hollywood provoque une onde de choc dans l’ensemble des pays occidentaux. Car, bien sûr, cette affaire d’abus sexuels dépasse très largement le seul milieu du cinéma. Tous les lieux de pouvoir sont touchés. Et, partout, se pose la question bien légitime, celle qui, par exemple n’a pas manqué d’être posée chez nous avec DSK : qui savait ? Qui a accepté de se taire ? Les victimes, bien sûr, en premier lieu et on comprend trop bien pourquoi quand sa carrière, ce que va devenir sa vie, dépend de ce silence. Mais aussi tous ceux qui, quoique sachant parfaitement de quoi il retourne, ont préféré regarder ailleurs, se taire, lâchement, piteusement. On voit aujourd’hui des réalisateurs célèbres expliquer qu’ils regrettent de s’être alors tus. Vraiment ? Quand on sait que Weinstein n’était rien moins que l’un des big boss d’Hollywood, on comprend aussi trop bien à quoi a pu tenir leur lâcheté, c’est humain… Alors, bien sûr, #BalanceTonPorc, le hashtag qui fait le buzz sur Twitter, ne fait pas vraiment dans la finesse et peut-être y aura-t-il parmi toutes les dénonciations qu’il enregistre des cas douteux de petites vengeances n’ayant rien à voir avec des agressions sexuelles. On a connu ça à d’autres époques et on sait que quand on invite à la délation, on n’est rarement déçu… Mais, pour l’essentiel, on peut espérer que l’entreprise aura un côté salutaire en ce que quelques responsables cesseront de se penser invulnérables et que, donc, quelques femmes n’auront pas à subir les assauts de tous ces “porcs”. Si cette affaire n’avait servi qu’à ça, ce ne serait déjà pas si mal.
Reste, bien sûr, qu’une fois de plus, le « mâle occidental » ne sort pas grandi de cette affaire, lui qui est en train, secteur après secteur, de perdre le pouvoir, lui qui est depuis quelques années en phase d’interrogation massive sur le sens qu’il convient de donner à sa virilité, sur ce que les femmes attendent de lui… Une seule chose est pourtant sure : elles n’attendent pas qu’il les agresse, qu’il les maltraite, qu’il les viole. Pour le reste, il faut voir…
Enfin, petite incise américaine : il est piquant de voir Trump et les siens se servir de l’affaire Weinstein, eux qui sont censés être les représentants des « porcs », de ces « white trash » soupçonnés de pédophilie familiale tandis que le gratin hollywoodien serait lui « moral », « propre sur lui », donnant des leçons à la terre entière et en particulier à tous ces pauvres américains qu’ils méprisent et ne fréquentent jamais. La réalité est manifestement plus complexe et voir Hillary Clinton, la représentante emblématique de ce gratin-là, expliquer qu’elle va rendre l’argent que Weintein lui a donné pour sa campagne et le donner à une association caritative est un vrai plaisir en ce qu’il révèle. Au fond, oui, y compris sur le terrain des mœurs, Hillary Clinton et Dominique Strauss-Khan sont bien du même monde.
@ suivre…
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