C’est la rentrée…
Dimanche 3 septembre 2017
C’est la rentrée…
Un peu plus de deux mois se sont écoulés depuis le dernier billet publié sur ce blog et, il faut le dire, contrairement à bien des étés, celui-ci a été riche, si riche qu’il serait vain de prétendre être exhaustif. Le lecteur est donc prié d’être indulgent si ce qui suit lui paraît bien parcellaire au regard de ce qui s’est passé durant ces deux mois. 43ème billet, c’est parti !
Comme prévu, Emmanuel Macron a convoqué une session extraordinaire du parlement afin d’y faire voter ce qui devait s’appeler une « loi de moralisation politique », faire prolonger l’état d’urgence et faire voter la loi d’habilitation permettant au gouvernement, comme le prévoit la Constitution de Ve République, de gouverner « par ordonnances » dans le périmètre prévus par cette loi.
Un mot rapide sur la première loi. Elle se voulait être la réponse à la profonde méfiance des citoyens français à l’endroit de leurs hommes politiques, elle devait être présentée par François Bayrou, elle devait, pour tout dire, être la vitrine du pouvoir macronien en ce qu’elle devait permettre de faire oublier la loi travail toute entière dévouée aux plus puissants, MEDEF en tête. François Bayrou disparu pour cause d’enquête sur les emplois fictifs du MoDem au parlement européen, le résultat est une loi « populiste » qui se garde bien de moraliser quoi que ce soit, qui reste à la surface des choses avec l’affaire des emplois familiaux des parlementaires. Rien sur le pantouflage éhonté des hauts fonctionnaires, rien sur les lobbies, rien qui permette aux citoyens de penser que, désormais, leurs élus, leurs gouvernants seront plus propres qu’ils ne le furent par le passé. Bref, un coup d’épée dans l’eau, un « non-événement »…
La deuxième loi votée lors de cette session extraordinaire a consisté à demander au Parlement de prolonger l’État d’urgence jusqu’au 1er novembre. Sixième prolongation de cet état d’exception qui fut décrété à la suite des attentats de Charlie-Hebdo et du Bataclan. Institué le 13 novembre 2015, notre pays aura donc été placé sous cet état d’exception presque deux ans. Ceux qui ont la mémoire qui flanche pourront avec profit voir ici de quoi la leur rafraîchir. Ils constateront que la durée de l’état d’urgence que nous connaissons, 23 mois, vient concurrencer le plus long que nous ayons connu auparavant, à savoir celui qui a été institué en 1955 suite aux « événements » liés à la guerre d’Algérie. S’il est vrai que les attentats terroristes islamistes en France ont profondément marqué la population, il reste que la gravité de la situation a peu à voir avec ce que le pays a connu avec la guerre d’Algérie. Tous les spécialistes reconnaissent que l’état d’urgence que nous connaissons est inopérant au regard du but poursuivi. Sans doute a-t-il permis de mettre un coup de pied dans la fourmilière, de frapper fort immédiatement après les attentats de 2015 mais, depuis, il n’a en fait servi au pouvoir que pour se débarrasser d’opposants gênants, écologistes par exemple, n’ayant rien à voir avec le terrorisme qui le motive. Comme le rappelle cet article, « Selon la Commission parlementaire chargée de surveiller l’application de l’état d’urgence, les forces de l’ordre françaises ont eu recours à l’état d’urgence en place depuis novembre 2015 pour réaliser 4 292 perquisitions, 612 assignations à résidence (dont les 95 personnes toujours assignées), et 1 657 contrôles d’identité et de véhicule. Ces mesures n’ont mené qu’à 61 enquêtes criminelles liées au terrorisme, dont seulement 20 pour le délit à définition large d’« association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » inscrit dans le Code pénal français. Les 41 autres affaires se rapportent à des charges moins importantes d’apologie du terrorisme. » C’est donc une lâcheté insane dont ont fait preuve successivement François Hollande et Emmanuel Macron. Eux et leurs suppôts qui n’ont de cesse de crier au « populisme » n’ont de cesse de s’y vautrer. Incapables de faire front à la vox populi qui croit benoîtement que cet état d’exception les protège, ils prolongent en pure perte pour la lutte contre le terrorisme un état d’exception dont le Conseil d’État rappelle opportunément en février 2016 que « l’état d’urgence reste un "état de crise" qui est par nature temporaire. Ses renouvellements ne sauraient par conséquent se succéder indéfiniment ». En foi de quoi Macron et son gouvernement n’envisagent rien moins que d’inscrire dans la loi ordinaire des mesures extraordinaires que seul l’état d’urgence lui autorise à prendre. On sait combien aux États-Unis, après le 11 septembre, le Patriot act a rendu légal des mesures privatives des libertés les plus élémentaires telle l’internement pour une durée indéterminée et sans contrôle de l’autorité judiciaire dès lors que le pouvoir pouvait prétendre que les personnes incriminées relevaient d’une « entreprise terroriste ». Des séries télé en ont fait leur miel… Il n’est pas interdit de penser que ce qui se profile chez nous soit de même nature. D’une certaine façon, toutes ces lois anti-terroristes et celle qui se prépare sont la signature de la victoire du terrorisme en ce que, précisément, il parvient à obtenir que les régimes démocratiques en arrivent à remettre en cause les libertés individuelles qui en sont le fondement.
La dernière loi, elle, est autrement regardée par l’ensemble de la population, à commencer par les 40 millions d’actifs de ce pays. Commençons par souligner ici combien cette procédure dite « des ordonnances » revient à demander aux parlementaires de se démettre de leur pouvoir puisque le gouvernement se contentera au terme de la procédure, c’est-à-dire en septembre, de dire oui ou non sans qu’ils puissent à aucun moment en discuter et les amender. Nul ne doute, bien sûr, que le but de son emploi en ce début de législature n’est pas tant de réduire le temps d’examen au motif qu’il y aurait urgence mais de faire en sorte que les opposants au contenu de ces ordonnances ne puissent se mobiliser. Chacun sait, en effet, que rares sont les manifestations et les grèves en plein mois de juillet-août… Certains, à droite et à LREM se plaisent à rappeler que lorsque la gauche était arrivée au pouvoir en 1981, avec François Mitterrand à la tête de l’État et Pierre Maurois 1er ministre, c’est cette procédure d’urgence qui avait été choisie… pour faire passer l’augmentation du SMIC et un certain nombre de loi sociales favorables au salariés. Il n’échappera à personne que les présentes ordonnances vont en sens exactement inverse puisqu’elles tendent à fragiliser le salariat en réduisant le code du travail à peau de chagrin via l’inversion de la hiérarchie des normes ou le plafonnement des indemnités de licenciement pour faute grave de l’employeur.
Disons un mot quand même de la session extraordinaire de ce mois de juillet. LREM, faut-il le rappeler dispose d’une majorité écrasante à l’Assemblée nationale puisque, outre les 305 députés étiquetés LREM, elle peut compter sur une partie de la droite et du PS pour les suivre au point que la Douma, dans la Russie de Vladimir Poutine, peut paraître comme infiniment plus équilibrée… Le spectacle que donnèrent les députés LREM fut à tout point de vue édifiant. Passons sur le fait qu’une bonne partie de ces députés étaient aux abonnés absents pour retenir la faiblesse de ce groupe pourtant largement majoritaire. Peu de prises de paroles en commission, encore moins en séance plénière et des moments où le ridicule fut à son maximum. Ainsi a-t-on vu ces députés refuser un amendement présenté par le gouvernement au motif que des députés LFI (La France Insoumise) le soutenaient. C’est sans suspense, donc, que l’on vit l’Assemblée donner son aval à cette loi d’habilitation. Mais ce qui frappe au sortir de cette séquence c’est que les seuls qui sont clairement apparus comme s’opposant au gouvernement c’est LFI. Alors que ce groupe ne compte que 17 députés, on eut l’impression qu’ils étaient des centaines. Par la pertinence de leurs interventions, par l’écho médiatique qu’ils reçurent, il est désormais clair que l’opposition au pouvoir macronien c’est LFI. Autrement dit, alors que le second tour de la présidentielle a vu s’affronter Emmanuel Macron et Marine Le Pen, c’est Jean-Luc Mélenchon qui, par cette séquence soigneusement préparée, tire les marrons du feu. On notera pour éventuellement s’en étonner que loin du « bruit et la fureur » à laquelle on aurait pu s’attendre, les députés LFI sont apparus calmes, invitant les députés LREM à réfléchir, à débattre, affichant une volonté de les convaincre du bien-fondé de leurs arguments. Sans doute faut-il voir dans ce comportement un choix tactique. Alors que les médias n’ont de cesse de représenter JLM et les siens avec « le couteau entre les dents », leurs interventions, sans rien en rabattre sur le fond, sont apparues modérées par le ton employé. Que les députés LREM aient fait le choix, dans leur grande majorité, de ne pas les entendre, que la « discipline de groupe » ait maintes fois été rappelée ne surprendra personne. La composition sociale de ces députés parle pour eux. Ils sont tous C++, « du côté du manche », comme on dit. La condition des salariés, ils la connaissent dans la mesure où ils sont de ceux qui donnent des ordres. La ministre du travail, Muriel Pénicaud, en est le plus parfait exemple. Successivement directrice générale adjointe chez Dassault Systèmes, DRH chez Danone, directrice générale chez Business France, elle a parallèlement siégé dans un certain nombre de Conseils d’administration de grandes entreprises (Orange, SNCF, Aéroports de Paris). On passera pudiquement sur le bénéfice – plus d’un million d’euros ! – qu’elle a tiré de la vente opportune de ses stocks options grâce aux licenciements qu’elle organisait chez Danone… Bref, voilà une ministre dont on comprend bien trop bien l’appartenance de classe. Et c’est cette ministre-là qu’Emmanuel Macron a chargé de réformer le code du travail…
Suite, donc, à ce vote de la loi d’habilitation, les discussions avec les organisations syndicales se sont intensifiées. Le pouvoir prétend que cette phase de « concertation » les a occupés 450 h. « Concertation », est devenu depuis de nombreuses années ce qui a remplacé « négociation ». Et à bon droit puisqu’en fait, rien ne se « négocie ». Les représentants du gouvernement en charge du dossier loi travail ont d’abord veillé à ce que rien ne fuite. Les organisations syndicales représentants les salariés n’ont eu aucun document écrit. Autre astuce : elles furent reçues les unes derrière les autres, sans jamais qu’elles soient réunies, autrement dit sans jamais qu’elles entendent la même chose de la part du pouvoir. On peut penser d’ailleurs que le discours tenu aux uns n’a pas nécessairement été le même qu’aux autres. La CGT, pour sa part, a dénoncé le vide abyssal de ces discussions, les représentants gouvernementaux n’ayant de cesse de renvoyer à de futurs arbitrages les points soulevés par leurs représentants. Pour autant, il est clair que l’orientation libérale des mesures envisagées ne faisait aucun doute. Ce qui a conduit la CGT à appeler en plein mois d’août à une journée de mobilisation le 12 septembre. On ne s’étonnera pas qu’elle ne soit pas rejointe en cela par la CFDT. Même si, après publication du projet d’ordonnances, Laurent Berger se dit « déçu », il complète immédiatement cette appréciation par un refus d’appeler à rejoindre la CGT le 12 septembre. Quant à FO, son leader, Jean-Claude Mailly, qui avait fait front commun avec la CGT lors de la loi El Khomri, surprend tout le monde en trouvant des qualités ou, tout du moins, en prétendant que tout n’est pas joué et qu’il n’y a nulle nécessité à se mobiliser. Beaucoup s’interrogent sur cette volte-face que d’aucuns qualifient volontiers de trahison. On avait été déjà un peu surpris qu’un secrétaire confédéral de FO, Stéphane Lardy, entre en compagnie d’un cadre du MEDEF, Antoine Foucher, au cabinet de la ministre en charge du dossier, Muriel Pénicaud. De la part d’un syndicat qui n’a de cesse de proclamer son « indépendance politique », ça faisait déjà un peu tache. Mais, diront les naïfs, pourquoi pas… Que Jean-Claude Mailly, qu’on avait connu enflammé au printemps, se montre désormais doux comme un agneau et si plein de prévenances à l’endroit d’une loi qui est dans la continuité de la loi El Khomri mais en dix fois pire, voilà qui en laisse plus d’un songeur. Les observateurs de la vie syndicale voient dans ce revirement la conséquence du fait que FO n’a pas vraiment brillé lors des dernières élections professionnelles. Autrement dit que la ligne adoptée jusqu’au printemps 2016 n’a pas payé. Les mauvaises langues disent que, fort de ce constat, il se pourrait bien que FO changeât de ligne pour aller concurrencer la CFDT – qui est passée devant la CGT – pour revenir à la position « historique » de FO, celle d’un Bergeron qui disait amen à à peu près tout au motif qu’il y avait « du grain à moudre ». On verra si les fédérations FO suivront et dans quelle proportion. Il n’est pas impossible que, comme en 1995 à la CFDT, une opposition à cette ligne « réformiste » s’agrège et n’aboutisse à un éclatement de FO. À suivre…
Les médias sont évidemment ravis de voir le front syndical être autant divisé. La rengaine, la « scie » à la mode, est « la CGT est isolée ». Ils salivent… Sans doute la CGT ne peut-elle aujourd’hui compter d’alliés syndicaux qu’en faible nombre (FSU et Solidaires). Mais, car il y a un mais, au lendemain de la mise sur la place publique des ordonnances, les enquêtes d’opinion montrent que la majorité des salariés et, plus largement, la majorité des personnes interrogées ne voit aucun progrès dans ces ordonnances, qu’elles y sont opposées. Si l’on croise cette tendance avec la chute vertigineuse de la cote de popularité d’Emmanuel Macron, on se dit que l’affaire n’est pas jouée. C’est probablement là-dessus que comptent tant la CGT et ses alliés sur le terrain syndical pour le 12 septembre que LFI de Jean-Luc Mélenchon sur le plan politique avec son appel à une large mobilisation le 23 septembre à Paris. Si du côté de la CGT on a assez peu apprécié l’appel de JLM, à l’inverse celui-ci prend bien soin d’expliquer que, bien sûr, il appelle les salariés à répondre à l’appel de la CGT et que la manifestation du 23 septembre, un samedi, permet de mobiliser plus largement et pas seulement contre la loi travail mais aussi contre l’ensemble de la politique gouvernementale.
De surcroît, durant l’été et dans le souci de complaire à l’UE et sa règle des 3 % de déficits, le pouvoir a procédé à des coupes budgétaires très peu populaires. Ainsi a-t-on appris que les aides au logement (APL) baisseraient de 5 €, que nombre d’emplois aidés disparaissaient dès la rentrée de septembre, que l’impôt sur la fortune ne concernerait désormais que les valeurs immobilières, autrement dit que les revenus boursiers seraient exclus du calcul de cet impôt. Et, cerise sur le gâteau, parmi bien d’autres cadeaux aux plus riches, que l’impôt sur les sociétés baisserait tandis que, dans le même temps, les retraités « aisés » – gagnant plus de 1200 €/mois ! 60 % des retraités – se verraient soumis à la CSG à hauteur de 1,75 %. Quant à l’exonération de la taxe d’habitation, elle est renvoyée à des jours meilleurs… Autrement dit, pendant qu’on tire à boulets rouges sur le code du travail, pendant qu’on réduit drastiquement les protections des salariés, on fait les poches des mêmes. Comme l’a aimablement fait remarquer Christophe Castaner, porte-parole du gouvernement, « nous apparaissons comme des libéraux »…
Nous étions partis en vacances en ce début juillet avec un macronisme triomphant, nous voilà, deux mois plus tard, avec un pouvoir qui déjà trébuche, un Président soi-disant « jupitérien » qui plonge dans les sondages au point que d’aucuns se demandent comment ce pouvoir pourrait tenir cinq ans. Cinq ans, c’est long ! Et chacun doit garder en mémoire que ce qu’a mis en évidence la présidentielle c’est que « le cercle de la raison » cher à Alain Minc a une assise sociale fragile. Si, grâce à l’épouvantail Le Pen, il a pu placer au pouvoir « le meilleur » d’entre eux, Emmanuel Macron, celui-ci n’a, au mieux, obtenu que 17 % des inscrits. L’austérité pour seul horizon quand, dans le même temps, les entreprises du CAC 40 battent des records de dividendes versés à leurs actionnaires, tout ceci pourrait bien amener à ce que cette partie des français, largement majoritaire, qui ne connaît que les fins de mois difficiles, les enfants sans travail et sans avenir, bref que cette France que la mondialisation enfonce jour après jour depuis tant d’années alors que le pays n’a jamais été aussi riche se rebelle. Rien ne dit que ce sera cet automne avec cette affaire de réforme du code du travail. Mais on peut penser que le pouvoir a « mangé son pain blanc ». Et, contrairement à ce certains aiment à croire, ce n’est pas là affaire de communication. Les français ne sont pas forcément stupides. Ils ne détestent pas les réformes, ils détestent les régressions sociales, c’est très différent. Il ne suffit de distribuer une longue interview dans Le Point ou d’embaucher un journaliste de Challenges, essentiellement renommé dans le landernau parisien, Bruno Roger-Petit, pour inverser la tendance. Tout indique que la potion amère qu’impose l’Allemagne à l’Europe, en général, et à la France, en particulier, n’est pas tenable dans la durée. Les peuples européens réagiront sans doute différemment selon les traditions qui leur sont propres. L’Europe de l’Est, celle des anciens pays « communistes », semble se diriger vers l’extrême-droite. Mais, au Sud, chez nous, il n’est pas certain que ce soit une Marine Le Pen ou son avatar de nièce qui puisse rafler la mise. La gauche dans ce pays n’a pas dit son dernier mot. On ne parle pas ici de la « gauche » façon Hollande, Valls et consorts, bien sûr, mais d’une gauche qui, autour de LFI pourrait donner espoir à toute cette jeunesse qui piaffe, qui enrage de ne pouvoir s’accomplir, d’organiser sa vie dignement en ayant un travail avec des inégalités qui soient acceptables telle une échelle de salaires de 1 à 20 (ce qui est déjà considérable) dans un pays où chacun contribuerait à hauteur de ses revenus, bref un pays dans lequel il ferait bon vivre…
C’est la rentrée : on a le droit de rêver…
Á suivre…
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