Ni de gauche, ni de gauche…
Lundi 9 octobre 2017
Sujets traités :
- Emblématiques « flat tax » et réforme de l’ISF
- Loi travail : en a-t-on vraiment fini ?
- Massacre à Las Vegas : pas de piste terroriste…
- Catalogne : jusqu’où iront-ils ?
- Euthanasie : un tabou français
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- Emblématiques « flat tax » et réforme de l’ISF
On se souvient que Jupiter nous avait promis un dépassement du « clivage gauche-droite », qu’était maintenant venu le temps du « en même temps », etc. Le choix fait de nommer aux postes stratégiques de Bercy le couple Le Maire-Darmanin était déjà une première alerte. La suite, c’est-à-dire le budget présenté par ces deux-là est venu le confirmer : c’est bien le « ni de gauche, ni de gauche » qui est le trait dominant de ce gouvernement. Et, si l’on comprend bien qu’en ces temps d’attentats tous azimuts, de presse qui n’a de cesse d’étaler le sang versé dans ce cadre, que donc la loi antiterroriste liberticide que s’apprête à voter la chambre ne fasse pas s’émouvoir la population, c’est sur le volant social de la politique menée par Emmanuel Macron que se focalise l’attention des citoyens avec la loi travail, bien sûr, et les cadeaux faits aux plus aisés à travers la « flat tax » des revenus financiers et l’emblématique réforme de l’ISF.
Á ce propos, deux chroniques ont retenu notre attention : celle de Frédéric Lordon sur son blog hébergé par Le Monde Diplomatique et celle de Thomas Piketty parue dans la livraison du Monde datée du 9 octobre.
Si, de la part de Frédéric Lordon, on en attendait pas moins de souligner combien ce gouvernement pouvait être « au service de sa classe », on retiendra tout de même de son billet « qu’il n’y a investissement supplémentaire qu’à proportion des émissions nouvelles d’actions. Or celles-ci sont dans les tréfonds : 12,5 milliards d’euros en 2014, 10 en 2015, à comparer avec un volume brut d’investissement de 262 milliards d’euros pour les entreprises non-financières — dont les nouvelles actions auront donc financé un énorme 3,8 %, ceci dit pour donner une idée de l’indispensable « efficacité » de la Bourse. » Et, dans la foulée, il rappelle que « Si en 2015, donc, les émissions d’actions se sont élevées à 10 milliards d’euros, la capitalisation de la place de Paris, c’est-à-dire la masse des actions qui tournoient dans les mouvements d’achat-revente sur les marchés secondaires est de 3 300 milliards d’euros », d’où il déduit que « ces messieurs-dames ne contribuent à l’émission de nouvelles actions qu’à hauteur de 0,3 % de leur fortune financière » et, donc, que « toute mesure de défiscalisation ISF des portefeuilles actions représente à 99,7 % de la pure aubaine, sans aucun effet sur l’investissement, aberrante disproportion qui dérive immédiatement de l’absurdité consistant à défiscaliser les stocks au nom des flux. On chiffre à 3 milliards le coût pour les finances publiques de cette défiscalisation. Voilà donc qui nous fait 9 millions d’investissement supplémentaire. 9 millions d’effet pour 3 milliards de dépense fiscale ». En d’autres termes, la « flat tax » consistant, rappelons-le, à taxer à hauteur de 30 % les revenus financiers que s’apprête à faire voter le gouvernement, revient donc à faire un immense cadeau aux plus riches de nos concitoyens.
Dans la foulée, il ne faut pas se priver de voir ce grand moment de télévision, souligné par Frédéric Lordon dans son billet. On est le 26 juin, c’est sur France 5 avec C dans l’air et ses invités néo-libéraux dont, en l’espèce, le « conseiller social » de référence de la droite gouvernante, Raymond Soubie, et la question d’un internaute est simple : « Y a-t-il des exemples de dérégulation du droit du travail ayant permis de réduire le chômage et la précarité des salariés ? » Silence gêné des invités… et réponse franche et simple : « non ». En foi de quoi la « dinde » qui fait office d’animatrice de l’émission ce jour-là, Caroline Roux, nous sert un brutal et définitif « question suivante… ». Pas de discussion, on glisse, on passe…
S’agissant de Thomas Piketty, que l’on sait plus modéré que Frédéric Lordon et dont l’aura internationale est infiniment plus grande, sa chronique « ISF : une faute historique » tranche avec le concert de soutien du journal à la macronie. On retiendra de cette chronique cet édifiant rappel : « Entre 1980 et 2016, le revenu national moyen par adulte, exprimé en euros de 2016, est passé de 25 000 euros à un peu plus de 33 000 euros, soit une hausse d’environ 30 %. Pendant ce temps, le patrimoine moyen par adulte, tiré notamment par l’immobilier, a été multiplié par deux, passant de 90 000 à 190 000 euros. Plus frappant encore : le patrimoine des 1 % les plus fortunés, qui comprend plus de 70 % d’actifs financiers, est passé de 1,4 million à 4,5 millions d’euros, soit une multiplication par plus de trois. Quant aux 0,1 % les plus fortunés, dont le patrimoine est financier à 90 %, et qui seront les principaux bénéficiaires de la suppression de l’ISF, ils sont passés de 4 millions à 20 millions d’euros, soit une multiplication par cinq. Autrement dit, les plus hauts patrimoines financiers ont progressé encore plus vite que les actifs immobiliers, alors que le contraire aurait dû se produire si l’hypothèse de fuite fiscale était vérifiée. » Ce qui revient à dire que l’argument essentiel d’Emmanuel Macron et son gouvernement consistant à expliquer que les cadeaux faits aux plus riches sont faits pour relancer l’investissement d’une part et éviter, d’autre part, « la fuite des talents » est une farce à l’usage des gogos. Cerise sur le gâteau, il rappelle que le cadeau fiscal que le gouvernement est en train de faire aux plus riches des plus riches est à hauteur de 40 % du budget de l’enseignement supérieur dans ce pays. En d’autres termes, Emmanuel Macron choisit d’arroser les plus fortunés au lieu d’investir dans la jeunesse de ce pays. Vergogna…
Le lecteur pourra prendre connaissance de l'intégralité de la chronique de Thomas Piketty ici.
Du coup, fleurit dans la presse et, surtout dans l’opinion, le soupçon que ce pouvoir ne soit « ni de gauche, ni de gauche » et rien d’autre finalement que « le gouvernement des riches pour les riches ». En d’autres termes, et pour reprendre l’imagerie d’Épinal, un gouvernement « de droite ». Que la presse éduquée style Le Monde, Libération et autres hebdomadaires papier glacé type L’Obs s’en montrent surpris n’est que la marque de leur duplicité. Et d’aucuns de ressortir la classification des droites de René Rémond que tout élève de la rue St-Guillaume a eu au programme pour voir dans la droite qu’incarne Emmanuel Macron rien d’autre que la version actuelle de la « droite libérale », « orléaniste ». Pas faux… Mais, franchement, le découvrir maintenant, après l’élection présidentielle, est une véritable tartufferie tant les signes de ce fait politique étaient manifestes, bien avant la séquence que nous vivons.
Un dernier mot sur le PLF 2017 : comme le pouvoir sent bien que l’affaire de l’ISF passe mal dans l’opinion, il envisage d’en rabattre sur l’aspect le plus anecdotique des conséquences de sa décision, à savoir que passeraient à travers les gouttes de l’ISF nouvelle formule les voitures du luxe, les yachts, etc. Il se prépare donc, grâce à un amendement fort opportunément présenté par quelque député LREM, de taxer ces « signes extérieurs de richesse » ce qui, au mieux, devrait rapporter 10 millions d’euros à mettre en regards des 4,5 milliards de cadeaux faits. Il faut dire qu’il y a bien longtemps que les yachts de plus de 30 m sont immatriculés dans des paradis fiscaux du type îles anglo-normandes et que les voitures de luxe sont achetées via des sociétés de leasing implantées sous d’autres cieux. Bref, tout ceci ressemble encore une fois à une mascarade, une de plus…
- Loi travail : en a-t-on vraiment fini ?
Sur le terrain purement social, les médias nous font croire que l’affaire est entendue dès lors que le gouvernement a publié les ordonnances. Pourtant, rien n’est moins sûr. Sur le plan syndical, l’isolement de la CGT n’est pas si patent qu’on aime à nous le faire croire. Pour preuve la réunion qui va se tenir ce lundi au siège de la CGT, porte de Montreuil réunissant, outre les alliés traditionnels - Solidaires, la FSU, l’UNEF et l’UNL - la CFDT, FO, la CFE-CGC et l’UNSA, autrement dit toutes ces organisations qui, hors CFTC, ont jusqu’alors brillé par leur soutien ou, en tout cas, leur refus de s’opposer aux ordonnances. Au menu, donc « un échange sur l'analyse de la situation sociale, économique et politique » du pays. En d’autres termes, il s’agit rien moins que de voir s’il y a moyen de constituer un large front unitaire contre la réforme du code du travail et, probablement aussi, voir dans quelle mesure il y a moyen d’élargir à d’autres thèmes dont le projet de budget, la suppression des contrats aidés, etc. C’est que du côté des syndicats qu’on a coutume de désigner comme « réformistes », autrement dit de ceux qui acceptent sans broncher et depuis des années l’ensemble des régressions sociales que connaît le pays, si rien de bon n’est à attendre de leur direction, la base, leurs adhérents ne comprennent pas comment elles peuvent accepter sans broncher de telles réformes. Chacun a en mémoire le camouflet qu’a connu Jean-Claude Mailly lors de l’instance suprême de son syndicat la semaine dernière. Mais comment faire boire un âne qui n’a pas soif ? En d’autres termes, la direction de FO et, a fortiori, celle de la CFDT, iront à reculons, juste pour faire semblant. Mais on peut penser que l’appel à l’action qui sortira de cette réunion, pour modéré qu’il puisse être dans le ton – concessions obligent – sera saisi de toutes ces sections syndicales qui bouillent de voir leur syndicat être à ce point compromis, qui ne comprennent pas que ce qui, hier, avec El Khomri était une ligne rouge est devenu acceptable avec Pennicaud et Macron.
Par ailleurs, demain mardi, l’ensemble des organisations syndicales de la Fonction publique, y compris les plus modérées, ont appelé à une journée de grève et de manifestations. Même Le Monde reconnaît que les retraités et les fonctionnaires se font éreinter par le PLF 2017 (baisse des pensions de 1,7 % et gel du point d’indice pour une période indéterminée). Nombre d’écoles, de collèges et de lycées seront fermées ou tourneront au ralenti et il ne fait guère de doute que la grève sera massivement suivie.
Enfin, chez des fonctionnaires qui ne disposent pas du droit de grève, les CRS, la grogne monte et ce ne sont pas moins de 2 000 arrêts maladie qui leur ont été délivrés… Le gouvernement entendant fiscaliser leurs indemnités d’éloignement, ceux dont le métier consiste à cogner à hue et à dia voient dans cette mesure un « coup de pied de l’âne » inacceptable. Passer 200 jours par an en déplacement pour aller réprimer ici et là, loin de chez eux, loin de leur famille, se faire cracher dessus, insulter, tout ça pour voir leur rémunération baisser, trop c’est trop ! Le pouvoir est bien conscient qu’en cette période où fleurissent les manifestations, il n’est pas très bien venu de se mettre ces gens-là à dos. Ils pourraient faire montre de quelque mollesse au mauvais moment… On peut donc penser que, comme les transporteurs routiers, ils seront entendus. La Cour des comptes à l’origine de cette affaire sera priée d’attendre des jours meilleurs…
- Massacre à Las Vegas : pas de piste terroriste…
Il aura fallu onze minutes à un sexagénaire étatsunien pour faire ce dimanche 59 morts et 527 blessés. Une fois de plus, est pointée la possibilité pour un citoyen quelconque de disposer d’armes et de munitions en nombre, pour le plus grand bénéfice de Wallmart et autres enseignes qui vendent tout ce matériel de mort. Donald Trump qui ne peut rien refuser à la NRA et à ses électeurs armés jusqu’aux dents préfère jouer de la compassion et expliquer que l’heure n’est pas venue de polémiquer… Du « perruqué », on n’en attendait pas moins. Quelques observations néanmoins…
1. Dans notre pays où détenir une arme est exceptionnel dès lors que l’on n’est pas chasseur ou fonctionnaire habilité, la complaisante législation étatsunienne sur les armes étonne. Il est en effet des États où n’importe qui peut se promener dans la rue armé jusqu’aux dents dès lors que les armes sont dans leur étui… Néanmoins, il serait conseillé de réfléchir au-delà et se demander pourquoi dans un État voisin, le Canada, où la quantité d’armes par habitant est aussi importante qu’aux États-Unis, de tels massacres n’ont pas lieu. C’est ce qu’avait fort justement fait observer Michael Moore dans son Bowling for Colombine en 2002. C’est ce que peu de monde a retenu dans notre pays préférant voir dans ce film une simpliste dénonciation de la vente libre des armes alors que le propos était infiniment plus profond sur les ressorts psychologiques de l’Amérique, la paranoïa aigüe qui touche massivement sa population.
2. On s’émeut volontiers ici quand, comme à Nice ou au Bataclan, survient une attaque qui fait quelques dizaines de morts. On va même jusqu’à parler de « guerre ». On s’en émeut fort justement et nul ne trouve à redire au qualificatif de « terroriste » qui accompagne ces faits puisque leur objet est bien de « terroriser » la population. Mais pourquoi ce qualificatif n’est-il pas repris à propos des massacres qui se déroulent aux USA alors que le nombre de victimes est beaucoup plus grand et qu’il ne fait guère de doute que la « terreur » règne en maître en ces occasions ? Est-ce à dire que le mot de « terrorisme » serait confiné aux massacres commis par des tenants de l’islam radical ? Poser la question, c’est y répondre…
3. Les États-Unis sont malades, profondément malades. Qu’un tel pays soit le cœur de l’Empire qui non seulement règne sur l’« Occident » (incluant le Japon…) et, accessoirement, sur le monde entier, que cet empire dépense annuellement plus de 600 milliards de dollars, se donne comme président des intelligences aussi fines que Bush ou Trump, voilà qui défie l’entendement. Et que nos hommes politiques n’aient d’autre souci que de complaire en permanence et en toute circonstance ou presque à l’Oncle Sam, voilà qui n’est pas moins curieux. Disons-le, au risque de choquer, un Vladimir Poutine, pour détestable qu’il puisse être par bien des aspects, est infiniment plus rassurant et moins dangereux…
4. Catalogne : jusqu’où iront-ils ?
La situation se tend en Espagne et plus précisément en Catalogne. Du côté du pouvoir central, Mariano Rajoy fait à peu près tout pour rendre la situation inextricable, à commencer par la violente répression qui a accompagné les manifestations catalanistes. Du côté catalan, on n’est pas en reste et on s’apprête à proclamer l’indépendance du « pays ». De sorte que l’on voit mal comment sortir de l’impasse auquel les protagonistes ont mené le pays. Un vrai concours !
Après les manifestations massives en faveur de l’indépendance qui ont précédé le référendum, sont venues ce week-end les manifestations, y compris en Catalogne, contre l’indépendance. Dans les deux cas, des foules immenses…
Nombreux sont ceux qui ont envie que le film s’arrête là, que l’on prenne le temps de discuter, de réfléchir, qu’on temporise, que des médiateurs interviennent. Mais la « flèche du temps » est sans retour possible et la situation est à ce point nouée qu’aucun des protagonistes ne peut faire marche-arrière. Rajoy joue de la constitution espagnole, héritage du franquisme, pour ne rien céder et s’apprête à mettre sous tutelle la Catalogne, autrement dit à lui enlever l’autonomie dont elle jouit au sein du royaume. Le roi Felipe VI qu’on aurait pu espérer mieux inspirer en a même rajouté une couche… Et, de l’autre côté, Carles Puigdemont, Président de la Généralité, est tenu de proclamer l’indépendance dès lors qu’est proclamé le résultat sans appel du référendum, à savoir plus de 90 % en faveur de l’indépendance. Que seuls 42,3 % des 5,34 millions électeurs potentiels se soient alors déplacés importe peu à ses yeux. Les manifestations de ce week-end, y compris à Barcelone, ont pourtant montré qu’il aurait tort de ne pas le prendre en compte car 90 % de 42,3 %, cela ne fait qu’un peu plus de deux millions de voix, autrement dit pas davantage que lors des élections précédentes en faveur des partis indépendantistes. Les banques ont déjà réagi en délocalisant leur siège de Barcelone. L’Europe a déjà dit que cette indépendance ne serait pas reconnue d’elle, autrement dit que l’espoir de voir la Catalogne devenir un membre de l’UE est vain. La France, par la voix de sa ministre des affaires européennes, Nathalie Loiseau a fait de même. En sorte que point l’asphyxie économique et politique…
Dans ce contexte, resurgissent les fantômes de la guerre civile. On croyait la page tournée mais l’Histoire est têtue. Comment comprendre que les indépendantistes catalans soient aussi forts, même s’ils ne sont probablement pas majoritaires et que nombreux sont ceux qui voient avec terreur la perspective de la séparation ? Bien sûr, il y a le poids de l’Histoire. Le franquisme et la guerre civile ont laissé des traces indélébiles dans l’inconscient collectif. L’Espagne n’est pas la France. L’État central a toujours dû composer avec les basques, avec les catalans, avec tant d’autres qui tous ont des particularités qui, chez nous, ont été gommées pour l’essentiel avec la « glorieuse révolution » de 1789. En Espagne, rien de tel : un État faible, toujours contesté dans ses marges, des langues spécifiques jouissant d’une vitalité inconnue chez nous, des littératures, tout un corpus qui ne se reconnaît nullement dans le castillan. Et sur toute cette histoire faite de rancœurs et de rivalités, de massacres aussi, est venue se greffer la dramatique crise qu’a connu l’Espagne après 2008 avec la « crise immobilière », une jeunesse éduquée et cultivée qui se voit sans avenir, qui, comme hier leurs grands-parents, est tenue de prendre le chemin de l’exil pour vivre ou survivre. Bref, un pays malade qui peine à se relever d’une crise majeure et, dans ce contexte, quelques démagogues qui font miroiter un avenir à travers la constitution d’un État-nation riche et, comparativement, en tout cas plus prospère que le reste du pays. On ne refait pas l’Histoire mais on se dit que, décidément, le mépris de l’Europe germanocentrée à l’endroit des pays du sud, dont l’Espagne, n’est pas sans rapport avec cette crise.
- Euthanasie : un tabou français
Ce lundi 2 octobre dernier, une femme, Anne Bert, atteinte de la maladie de Charcot, conformément à ce qu’elle avait publiquement fait savoir, s’est fait euthanasier en Belgique. Plus que de longs discours et à défaut de relire son ouvrage « Le tout dernier été » dans lequel elle annonçait sa décision et les raisons qui la motivaient, il convient de lire ici sa lettre ouverte publiée après sa mort par le JDD :
« Je m’appelle Anne Bert, j’ai 59 ans et suis atteinte depuis deux ans de la sclérose latérale amyotrophique, dite aussi maladie de Charcot ou SLA. Maladie neurodégénérative incurable et mortelle à très brève échéance, qui emmure dans son corps et paralyse progressivement tous les muscles jusqu’à l’asphyxie et la mort. La France nous interdit, en phase terminale ou face à l’inguérissable et aux souffrances insupportables, de bénéficier du droit à choisir l’euthanasie ou le suicide assisté, elle a préféré l’hypocrisie de la loi Leonetti qui ne garantit même pas le respect de nos directives.
Pour ma part, j’ai biaisé la violence de l’injonction de souffrir ce que l’on m’impose dans notre pays. C’est hors frontières et en femme libre jusqu’au geste létal et légal qu’il sera mis un terme à l’horreur et aux tortures physiques et morales de mon emprisonnement, avec l’aide de médecins volontaires et humanistes. Ce choix si difficile rendu possible apaise mes derniers mois à vivre durant lesquels je n’ai cessé d’interpeller le gouvernement et les responsables politiques.
Ma vie s’achève, alors, pour clore ma contribution à cette lutte, avec la certitude que la littérature interroge et construit nos sociétés, j’ai tenu à écrire un livre intitulé Le tout dernier été, pour dire autrement, sous le prisme du goût de la vie, comment je me suis réappropriée ma vision de la mort, bien au-delà du tabou de la fin de vie.
La ministre de la Santé m’a confirmé qu’elle ne veut pas rouvrir le débat sur le droit à choisir l’euthanasie en cas de maladie incurable ou en phase terminale. Lorsque ceux qui gouvernent la France ou exercent un pouvoir nient la réalité sur une question fondamentale de la vie, alors les Français doivent œuvrer pour se faire entendre.
Je m’adresse donc à vous, citoyens libres d’une France démocratique laïque, je suis sûre que vous prendrez le relais de ce combat pour qu’advienne cette loi française qui doit garantir à tous la liberté de choisir en son âme et conscience les soins palliatifs ou l’aide active à mourir.
Nous sommes tous concernés par la fin de vie et la mort, parfois beaucoup trop tôt. Penser la mort ne fait pas mourir, elle est inscrite dans notre existence. En faire un tabou nous soumet à la tutelle de la loi Leonetti et à celle du corps médical, qui nous trompent puisque même la sédation profonde et continue peut nous être refusée malgré nos directives et la désignation d’une personne de confiance.
Vous êtes plus de 90% à vous déclarer favorables au droit de choisir une aide active à mourir, dans un cadre strictement contrôlé. Près de 200 000 d’entre vous ont signé les pétitions mises en ligne depuis peu. Ce qui ne veut pas dire que vous aurez tous recours à l’euthanasie en fin de vie, vous réclamez simplement de pouvoir opter – lorsqu’il n’y a plus d’espoir de guérison – soit pour des soins palliatifs absolument conformes à vos directives, soit pour une aide active à mourir. Ce droit est basé sur les valeurs de la laïcité, comme il existe en Belgique depuis 2002. Il ne nuit pas à la liberté des croyants de toutes confessions, qui peuvent choisir de vivre leur agonie jusqu’au bout.
Alors, dites-le. Autour de vous, chez votre médecin, sur les réseaux sociaux et dans la rue s’il le faut pour y contrer une minorité obscurantiste, bruyante, qui se veut dominante. Réveillez les consciences sourdes ou endormies de nos dirigeants puisqu’ils vous confisquent le débat public sur cette évolution sociétale à disposer de vous-même jusqu’à votre mort.
N’acceptez plus que ceux qui sont aux responsabilités, cachés derrière la loi Léonetti, vous assènent sans vergogne et de concert avec certains médecins, sociologues et philosophes, des contrevérités au sujet de l’euthanasie. Ils tronquent la réalité, alimentent de leurs fantasmes la peur de légiférer sur le droit de choisir une aide médicale active.
Refusez le joug religieux qui entend soumettre tous les Français à la crainte de la loi de dieu, n’acceptez pas plus que des médecins refusent de vous rendre le pouvoir qu’ils détiennent sur la fin de votre existence.
Forte de mon expérience de fin de vie en France et de mon choix de trouver une terre plus hospitalière, je déjoue les arguments fallacieux et les fantasmes serinés un peu partout.
Non, la loi française n’assure pas au malade son autodétermination et elle n’est pas garante d’équité. Chaque équipe médicale agit, in fine, selon ses propres convictions et non selon les vôtres.
Non, la sédation profonde et censée être continue ne l’est pas, car fréquemment le médecin réveille l’agonisant pour lui redemander s’il persiste dans son choix, ce qui est contraire à la loi Leonetti.
Non, l’euthanasie ne relève pas de l’eugénisme, ce sont les Allemands nazis qui en ont fait en temps de guerre leur instrument diabolique et ont dénaturé ce mot grec.
Non, la loi belge n’oblige pas le corps médical à la pratiquer et ce ne sont jamais les médecins belges qui décident d’euthanasier leurs patients. Seul le patient peut exprimer ce choix et doit trouver le docteur qui l’acceptera.
Non, la loi belge sur l’euthanasie n’a pas encouragé les spoliations d’héritage ni la liquidation des personnes âgées. Elle n’est pas non plus une solution d’ordre économique.
Non, elle n’a pas encouragé les malades à choisir cette porte de sortie – qui n’est jamais facilité – puisque seuls 2% des malades en fin de vie la choisissent.
Non, elle n’a pas non plus favorisé une multitude de dérives. Bien au contraire, la loi belge a balisé strictement l’aide active à mourir alors que près de 2 000 actes d’euthanasie clandestine – donc de facto criminels – sont pratiqués en France sans aucun contrôle, de façon notoire.
Non, le procédé létal n’est pas violent.
Non, le droit à l’euthanasie ne s’oppose pas aux soins palliatifs.
Et enfin non, je ne suis pas un cas particulier et exceptionnel. Légiférer sur l’euthanasie n’est pas répondre à l’individuel, mais bien à une volonté collective de pouvoir choisir en son âme et conscience ce que l’on veut faire des derniers instants de sa vie.
Les médecins français et quelques psychologues messianiques ne sont pas plus experts que leurs malades. Personne n’est plus à même que le malade incurable de décider de sa mort.
Nos gouvernants affirment ne pas entendre notre volonté à légiférer sur le droit à choisir une aide active à mourir ?
Exigez, sans attendre, un débat public. Et en attendant cette loi qui se fera, rédigez tous vos directives anticipées dès maintenant en stipulant que vous réclamez ce droit en cas de souffrances inguérissables. »
Courage et intelligence dont on aimerait tous et tant être capables…
@ suivre…
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