Le temps suspendu
Mardi 16 avril 2019
- L’oracle empêché
- Européennes : la machine se met en place
- Privatisation d’AdP : vers un référendum ?
- Julian Assange lâché de toutes parts
=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=
Trois semaines sans une ligne, c’est peu fréquent. Non que l’actualité ne susciterait pas ici et là quelque commentaire, mais, parfois, se dit-on, à quoi bon. À quoi bon commenter la victoire de l’extrême-droite en Israël avec Bibi qui rempile en promettant d’annexer encore et toujours, qui gagne les élections et, ainsi, va échapper aux multiples poursuites judiciaires qui le menacent. Ce pays, Israël, est devenu fou. Et les palestiniens crèvent dans l’indifférence générale et au mépris de toutes les bonnes résolutions de l’ONU. À quoi bon relever que, non loin de là, la pire famine règne sous les bombes, au Yémen où, la ministre de la défense, Florence Parly, nous l’avait juré, les armes françaises n’y sont pour rien jusqu’à ce que Disclose publie ces jours derniers une note de la DRM – Direction du renseignement militaire – datant du mois d’octobre dernier qui montre que « nos » armes vendues à Riyad et Abou Dhabi ne se contentaient pas de défendre ces aimables territoires mais étaient bel et bien employées au Yémen pour bombarder les populations civiles et empêcher l’aide médicale humanitaire d’arriver. Mais à quoi bon relever ce gros mensonge ? Un de plus !
Non, une des raisons de ce long silence tenait à la situation intérieure, autrement dit à l’intervention attendue ce lundi 15 de notre « monarque républicain » censé dire au pays ce qu’il comptait faire suite au Grand débat national…
- L’oracle empêché
Une semaine plus tôt, le premier ministre avait gravement convoqué les journalistes pour expliquer en substance que la leçon du GDN était qu’il fallait aller encore plus loin dans les réformes entreprises et que les français consultés demandaient toujours moins d’impôt et un peu plus de libéralisme. Interrogés par les sondeurs, ces mêmes français firent savoir à plus de 70 % qu’ils avaient la nette impression qu’on se moquait d’eux et que les conclusions que venait de tirer Édouard Philippe n’avaient rien à voir avec les leurs. Et, du coup, on regarda de plus près les raisons d’un tel hiatus. On apprit donc que loin des millions de contributions annoncées bruyamment par la macronie, ceux et celles qui étaient intervenus sur la plateforme gouvernementale n’avaient que peu de chose à voir avec la population réelle du pays : beaucoup de parisiens, plutôt âgés, disposant de revenus confortables et intervenant à de multiples reprises. Bref, de nombreux militants d’En Marche ! On apprit également que seule un peu plus de la moitié des contributions avaient été prises en compte. On apprit aussi que le temps n’avait pas permis de prendre en compte les « cahiers de doléances ». Enfin, s’agissant des débats qui se sont tenus dans « les territoires », une enquête du CEVIPOF portant sur 240 d’entre eux a montré que le participant type était un homme (55 %), âgé (60 ans en moyenne) et diplômé du supérieur… et, très souvent, propriétaire de son logement et que deux sur trois de ces participants disaient s’en sortir « facilement » ou « très facilement » avec leurs revenus. Bref, on apprit que toute cette affaire n’était rien moins qu’une gigantesque et coûteuse entreprise d’enfumage généralisé. Pour le dire franchement, on n’en est guère surpris et on n’en attendait pas moins…
Conscient sans doute que la fumée a des limites et désirant sans doute gagner un peu de temps, Jupiter se fit désirer. Réunions secrètes du premier cercle. Que dire ? Que faire ? C’est qu’en effet du côté des Gilets jaunes on ne faiblit pas. Ah, bien sûr, après cinq mois de manifestations hebdomadaires rythmées par une répression jamais vue dans ce pays depuis plus d’un siècle, avec des éborgnés, des amputés, des emprisonnés, des mises en examen aussi nombreuses qu’arbitraires, la mobilisation connaissait des hauts et des bas. Mais loin de ce qui était attendu par le pouvoir, elle ne consentait pas à mourir. Le GDN avait eu au moins un mérite, gagner du temps. Mais il fallait conclure. Et, donc, il fallait que le monarque s’exprimât à cet effet. Rendez-vous était donc pris ce lundi 15 avril à 20 h pour 28 minutes d’intervention jupitérienne. Et patatras ! Voilà que sur le coup de 18 h, la machine médiatique d’emballe : Notre-Dame de Paris est en feu ! Et pas qu’un peu. C’est l’ensemble de la charpente – la « forêt » – qui brûle, la flèche s’écroule consumée par les flammes au point que c’est l’ensemble de l’édifice qui menace de périr. Le pays retient son souffle. Victor Hugo est convoqué…
----------------------
« Tous les yeux s’étaient levés vers le haut de l’église. Ce qu’ils voyaient était extraordinaire. Sur le sommet de la galerie la plus élevée, plus haut que la rosace centrale, il y avait une grande flamme qui montait entre les deux clochers avec des tourbillons d’étincelles, une grande flamme désordonnée et furieuse dont le vent emportait par moments un lambeau dans la fumée. Au-dessous de cette flamme, au-dessous de la sombre balustrade à trèfles de braise, deux gouttières en gueules de monstres vomissaient sans relâche cette pluie ardente qui détachait son ruissellement argenté sur les ténèbres de la façade inférieure. À mesure qu’ils approchaient du sol, les deux jets de plomb liquide s’élargissaient en gerbes, comme l’eau qui jaillit des mille trous de l’arrosoir. Au-dessus de la flamme, les énormes tours, de chacune desquelles on voyait deux faces crues et tranchées, l’une toute noire, l’autre toute rouge, semblaient plus grandes encore de toute l’immensité de l’ombre qu’elles projetaient jusque dans le ciel. Leurs innombrables sculptures de diables et de dragons prenaient un aspect lugubre. La clarté inquiète de la flamme les faisait remuer à l’œil. Il y avait des guivres qui avaient l’air de rire, des gargouilles qu’on croyait entendre japper, des salamandres qui soufflaient dans le feu, des tarasques qui éternuaient dans la fumée. Et parmi ces monstres ainsi réveillés de leur sommeil de pierre par cette flamme, par ce bruit, il y en avait un qui marchait et qu’on voyait de temps en temps passer sur le front ardent du bûcher comme une chauve-souris devant une chandelle. » (Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, 1831)
----------------------
Donald Trump tweete ! Angela Merkel se fend d’un communiqué compassé ! Comprenant que rien d’autre ne pouvait ce soir-là exister, Emmanuel Macron fit ce que n’importe qui eut fait à sa place. Il se rendit sur place, annonça que l’édifice serait reconstruit et qu’un emprunt était à cette fin lancé. Ses amis ne se firent pas prier. Bernard Arnault, devenu depuis peu 3ème fortune mondiale au classement de Forbes avec 87,2 milliards de dollars (+ 11,2 en 2018, 21 309 $ de plus chaque minute, 355 $ chaque seconde !), annonça donner 200 millions d’euros tandis que François Pinault (23 Md€), moins bien classé, en donnait 100. Nul doute que cet emprunt rencontrera un vif succès tant il est vrai que, quoiqu’on pense de la religion qui sous-tend cet édifice, les français y sont attachés. Reste qu’on peut se demander qui va vraiment payer puisque, a minima, il est prévisible que tous ces dons seront déductibles de l’impôt à hauteur de 66 % et que si, comme on peut sans grand risque l’anticiper, Notre-Dame de Paris était décrétée « Trésor national », la déduction grimperait alors à 90 %. En clair, François Pinault se verrait accorder une généreuse ristourne de 180 millions d’euros, son geste ne lui coutant finalement que 20 millions ! Bref, ami contribuable, c’est encore toi qui va passer à la caisse ! Mais, au fait, où passe l’argent que donnent les milliers de touristes qui se pressent chaque jour à Notre-Dame ? Ne me dites pas que tout cet argent va dans les poches de l’Église !
De sorte que, dans un tel contexte, toute parole politique étant devenue inaudible voire indécente, les 28’ préenregistrées par Emmanuel Macron passèrent à la trappe. Ce n’est bien sûr que partie remise. Il faut laisser le temps à la machine médiatique de se calmer, aux « édition spéciales » de cesser, à l’émotion de retomber. Les mauvaises langues diront que c’est encore une semaine de gagnée pour la macronie… Hommes et femmes de peu de foi, comment imaginer une pareille chose ?
- Européennes : la machine se met en place
Le élections européennes approchent et tandis que les médias tentent de nous y intéresser, les français s’en soucient peu. Des débats sont organisés ici et là et peu de gens les suivent. La clique médiatique fait ce qu’elle peut mais ça veut pas. Les têtes de listes, pour beaucoup des inconnu·e·s, se montrent, débitent leurs platitudes et les français regardent ailleurs. Tout laisse à penser que la participation à ce scrutin du 26 mai sera un flop, un de plus ! Peut-être un peu moins grand que celui de 2014 si, comme on peut le penser, parmi ceux qui désertent ce scrutin censitaire, le public des Gilets jaunes, par exemple, il s’en trouve qui, mécontents de l’issue qu’Emmanuel Macron ne manquera pas de donner au mouvement, trouveront là l’occasion de le sanctionner. Les listes pour ce faire ne manquent pas. Celle du RN menée par le jeune Jordan Bardella, 23 ans au jus, par exemple. Celle de LFI menée par Manon Aubry, 29 ans, pourquoi pas, qui sait ? Ou bien, plus marginalement celles de Nicolas Dupont-Aignan, Florian Philippot ou François Asselineau. Les « gentils » écolos pourront sans crainte se porter sur Yannick Jadot. Quant aux vieux des beaux quartiers, tendance catho, ils pourront avec bonheur se porter sur François Xavier Bellamy que France Culture a contribué à faire connaître dans sa bien-pensante émission hebdomadaire L’esprit public. Pour ce qui est des autres, des nombreux autres, ça tangue ! Nul ne pense sérieusement que la liste de Lutte Ouvrière conduite par Nathalie Artaud fera plus de 1 %. C’est une candidature « de témoignage » à laquelle le NPA, faute de pouvoir se présenter se rallie. Mais tout ça reste confidentiel. Non, là où ça coince, c’est « à gauche », enfin à gauche de la droite ou à droite de la gauche, s’entend. Le PCF avec Ian Brossat, brillant normalien agrégé de Lettres modernes, adjoint à la maire de Paris qui, au vu des sondages en cours, risque non seulement de ne pas avoir de députés mais, plus grave encore, risque de ne pas franchir la barre des 3 % nécessaires au remboursement des frais électoraux. Dans le même genre, il y a Raphaël Glucksmann, le fils du « nouveau philosophe », qui conduit la liste du PS et semble incapable tant de débattre que de tenir meeting. Et puis, dans le même étiage, il y a Benoît Hamon que l’on voit courir ici et là dans l’indifférence générale et qui risque rien moins que d’apparaître pour ce qu’il est, lui et son mouvement Génération.s, peu de chose.
Bref, comme il fallait s’y attendre avec un tel scrutin, c’est la loi de la dispersion maximale qui est à l’œuvre. La proportionnelle intégrale qui y règne tend à une telle dispersion mais on aurait pu penser que les barres de 3 et 5 % conduiraient un certain nombre de « petits » candidats à se regrouper. Qu’est-ce que Hamon et Glucksmann voire Jadot et Brossat ont de si différent ? Ils se disent tous écolos et ont en commun une sainte haine de Mélenchon. Ils veulent tous une Europe « sociale » et consentent tous à ce qu’elle ne puisse exister puisqu’aucun n’entend sortir de l’UE ou, du moins, désobéir aux traités qui la gouvernent. Seulement voilà, les « boutiques » ont pour vocation à enfermer et, ce, d’autant plus qu’elles sont faibles…
Côté France insoumise, la machine se met en route. Alors que tout porte à penser que la liste des insoumis franchira allègrement la barre des 5 %, les banques lui ont refusé tout concours. Qu’à cela ne tienne, un emprunt a été lancé et ce sont d’ores et déjà 2 millions d’euros qui ont été récoltés en moins de dix jours. Les meetings se succèdent et, comme en 2017, on s’y presse pour y entendre les « ténors ». La tête de liste, Manon Aubry, bien sûr mais aussi, comme à Amiens, François Ruffin et, bien sûr, Jean-Luc Mélenchon…
Meeting France insoumise à Amiens le 10 avril à Amiens
Le discours y est convenu. Le programme est décliné avec méthode et « les points qui fâchent » y sont éludés. Si on y explique fort justement que « dans les traités, point de salut », on glisse sur la monnaie unique. On explique que, transition écologique oblige, on va faire du déficit budgétaire. Pourquoi pas ? Mais quid de la réaction de la Commission, autrement dit de l’Allemagne et ses affidés ? Et quid du carcan de l’euro et de l’impossibilité qu’il y a désormais de dévaluer, autrement dit de faire ce que notre pays a fait des décennies durant quand la France avait comme monnaie le Franc permettant ainsi au pays de regagner de la compétitivité par rapport à l’Allemagne. Silence ! C’est pourtant là le nerf de la guerre. On n’en parlera pas. Non pas que l’on soit ignorant de la chose mais parce que tout ce que LFI compte de petits-bourgeois est effrayé à la seule idée de « sortir de l’euro ». Cette monnaie est un boulet qui ne profite qu’à l’Allemagne et son interland, Pays-Bas compris, et il faudrait s’en accommoder. Notre industrie est passée de 30 % du PIB en 1960 à 12,4 % aujourd’hui. Et rien ne laisse à penser que la courbe puisse s’inverser. Alors, sans doute, nos « capitaines d’industrie » sont-ils nuls. Ayant rêvé d’usines sans « collaborateurs » et ayant mis à leur tête des financiers préférant les dividendes aux investissements, ils ont raté à peu près toutes les opportunités et laissé l’Allemagne se tailler la part du lion. Mais, reconnaissons que dès lors que le Mark devenait l’euro, monnaie unique et non monnaie commune, ils n’étaient pas aidés et que tous les outils dont disposait la puissance publique pour ce faire ont disparu. Et avec eux, les emplois, les millions d’emplois comme en témoigne la situation du Nord de la France dont François Ruffin parle si bien.
On se consolera en se disant que, de toute façon, quel que soit le nombre de députés que LFI enverra à Strasbourg, cela ne changera rien. Leur programme, quelque beau qu’il fut, n’a aucune chance d’être appliqué et ce, d’autant plus que ces députés, tous les députés, n’ont aucun pouvoir. Sitôt le scrutin clos, et quel que soit son résultat, tout continuera comme avant. Les décisions sont prises ailleurs et, d’abord, à Berlin. Angela Merkel s’apprête à partir et celle qui va lui succéder, Annegret Kramp-Karrenbauer, n’est pas des plus accommodante. Si l’on en croit ses premières déclarations publiques, on peut même penser qu’elle l’est moins et il n’est pas impossible que l’on se prenne à regretter Angela…
Ce scrutin de mai prochain n’a donc, en réalité, qu’un seul enjeu, dans chaque pays, mesurer le rapport de forces politique. Avec ce biais, ce sérieux biais, c’est que, contrairement à la présidentielle, seule la moitié des électeurs se déplace. Et pas n’importe quelle moitié. Celle qui est la plus aisée, la plus « cultivée », la mieux intégrée. Celle qui a fréquenté les assemblées réunies à l’occasion du GdN. Et, bien sûr, dans cette moitié qui vote, les macronistes tiennent le haut du pavé. Leur candidate a beau être peu à l’aise, incapable de soulever le moindre enthousiasme, dire tout et son contraire, promettre de faire du protectionnisme européen, par exemple, ne rien dire de ce que feront ses élus au parlement, en particulier ne pas dire dans quel groupe parlementaire ils s’inscriront, qu’importe. Tout le monde sait bien que ça n’a strictement aucune importance. Son programme, pour peu qu’on arrive à en dessiner les contours, n’en a pas davantage. Leur seul programme, en fait, est encore et toujours plus de libéralisme, terrain sur lequel ils n’auront aucun mal à se regrouper. Quant à la présidence de la Commission, là encore silence. Tout le monde sait que les Allemands entendent ne pas laisser passer l’occasion de conquérir cette place. C’est à peu près la seule qui leur manque puisqu’ils disposent déjà de tous les postes importants (voir ici) et, contrairement à nos gouvernants, ils ne comptent pas en rabattre, la Cour de Karlsruhe y veille. L’UE est leur terrain de jeux. Ils ne consentent à aucun abandon de souveraineté quand, chez nous, on nous explique que la souveraineté est un concept ringard voire fascisant. Le Mark, avec qui ils ont des liens qui confinent au religieux, est devenu l’Euro et leur assure une domination sans partage. Tout le reste n’est que bavardages. Les électeurs l’ont bien compris et la défiance à l’égard de ce monstre bureaucratique qu’est l’UE est devenu la règle commune dans la plupart des pays qui la composent. Chacun sait qu’une nouvelle crise financière va éclater. Que, suite à celle de 2008, rien de sérieux n’a été fait, qu’elle risque donc d’être encore plus terrible en ce que les États sont désormais, vu leurs endettements respectifs, dans l’incapacité de faire à nouveau du quantitative easing (QE), autrement dit de faire marcher la planche à billets pour sauver les banques qui failliront en chaîne. Chaque pays sera prié de renflouer « ses » banques. L’Allemagne se chargera de la Deutsche Bank qui a dans son portefeuille des masses de crédits pourris, la France sera priée de se charger de la Société générale, de BNP-Paribas, du Crédit Lyonnais et, probablement aussi, du Crédit agricole. Mais avec quel argent ? Ou bien, comme en d’autres temps, on consentira enfin à reconnaître que toutes ces dettes ne valent rien, ne seront pas remboursées ou ne le seront qu’à hauteur de leur cotation proche de zéro. À voir… En tout état de cause, dans un tel contexte, les cartes seront rebattues et les discours d’aujourd’hui apparaitront crument pour ce qu’ils sont, pure verbiage.
- Privatisation d’AdP : vers un référendum ?
Alors que la loi PACTE est en passe d’être votée à l’Assemblée nationale, et contre toute attente, il s’est trouvé 218 parlementaires pour engager la procédure du RIP – référendum d’initiative partagée – issue de la dernière réforme constitutionnelle initiée par Nicolas Sarkozy en 2008 sur la privatisation d’Aéroports de Paris (AdP). Il en fallait 185… Inutile de dire que les signataires sont de tendances politiques diverses : LR, PS, LFI, PCF, etc., bref tout ce que comptent les macronistes d’opposants au Parlement à l’exception du RN. Cette première étape est évidemment nécessaire mais on sait combien elle est loin d’être suffisante puisque, à supposer que le Conseil Constitutionnel n’y trouve rien à redire (il a un mois pour se prononcer), il faudra ensuite trouver 4,5 millions d’électeurs pour la signer durant les neuf mois qui suivent. Quand on sait que la pétition pour le climat qui détient le record de signataires jamais enregistré n’a réussi à mobiliser « que » deux millions de personnes, on mesure le GAP. Quand on sait en outre que chaque signataire devra être dûment identifié comme électeur via une plateforme internet gouvernementale, on sent que l’affaire est loin d’être conclue car il ne suffira pas d’aller sur un marché faire signer des feuilles de pétition. Il faudra avoir un ordinateur connecté capable d’enregistrer chaque signature et on voit mal nombre de badauds, quoique favorables à la pétition, disposer de tous les documents nécessaires et consentir à perdre un quart d’heure à cela. Mais, en admettant que cette écueil soit franchi, le législateur constituant a prévu un dernier obstacle : l’Assemblée nationale et le Sénat ont ensuite six mois pour examiner la proposition. Si, dans ces six mois, les deux chambres n’ont pas examiné la proposition, le président de la République doit la soumettre au référendum. On notera que, s’agissant de ce dernier obstacle, le fait que l’opposition ait la majorité au Sénat peut conduire à un blocage de l’examen de cette loi, à creuser…
Congrès de Versailles du 21 juillet 2008
Face à ce qui ressemble furieusement à une impossible course d’obstacles, on se prend à se demander comment des parlementaires réunis en congrès ont pu consentir à une telle absurdité en 2008. Mais, passons… Si cette tentative a un intérêt, c’est d’abord de mettre sur le devant de la scène cette dispendieuse politique consistant à « brader les bijoux de famille » que l’État suit depuis des années, la privatisation des autoroutes étant l’exemple emblématique de tels gaspillages. Ensuite, bien évidemment, la collecte des signatures pourra être un moment de démocratie réel en permettant un large débat public sur ces politiques de privatisations. Et comme, « en même temps », l’État se propose de faire la même chose avec EDF, on voit ici tout le bien qu’il y aura à ce qu’ait lieu ce débat qui ne pourra que rendre encore plus difficile cette affaire qui consiste, une fois encore, à « socialiser les pertes et privatiser les profits ». Enfin, si la procédure ne devait pas parvenir à son terme, autrement dit si, in fine, il est ainsi démontré que ce RIP est impossible à satisfaire quelle que soit la popularité de ce qu’il porte, ne pourra être tirée comme seule conclusion que le fait que le RIC est la solution, le RIC avec lequel 70 % des français se disent d’accord au grand dam de tout l’establishment politique, LREM en tête.
On voit donc que si l’on peut penser que cette affaire est bien mal engagée ou, à tout le moins, qu’elle a peu de chances d’être couronnée de succès, les bénéfices politiques qu’on peut en attendre ne sont pas nuls. Les libéraux de tous poils seront évidemment sur la défensive d’autant que le dossier d’AdP est particulièrement indéfendable*. Comment expliquer aux citoyens que l’État se prive de telles ressources pendant que, dans le même temps, il n’a de cesse d’expliquer que ces mêmes moyens lui manquent et alors que la privatisation de l’aéroport de Toulouse vient d’être annulée par la Cour administrative d’appel après que les chinois lui aient vidé les caisses ? Comment justifier le dépeçage d’EDF qu’il a pour projet de mener ?
* Le lecteur intéressé par cette question pourra avec profit consulter l’article signé de Martine Orange publié par Mediapart le 13 mars 2019 (voir fichier joint à la fin du post)
- Julian Assange lâché de toutes parts
Triste spectacle en ce 11 avril que de voir Julian Assange sortir de l’ambassade d’Équateur dans laquelle il est réfugié depuis 2012 enchaîné, méconnaissable pour tout dire. On ne reviendra pas ici sur ce qui a conduit Julian Assange à se réfugier dans cette ambassade, l’accusation de viol portée en Norvège au lendemain de la publication des célèbres leaks qui mettaient sur la place publique ce que l’Oncle Sam voulait cacher, en Afghanistan, en Irak, etc. On ne manquera pas d’observer à cette occasion combien la Grande-Bretagne sait être versatile quant aux demandes d’extradition qui lui sont faites. Ainsi peut-on rappeler qu’elle a refusé celle d’Augusto Pinochet pour finalement le libérer en 2000 (voir ici). Tony Blair était premier ministre… On est triste aussi d’apprendre que l’Équateur vient dans le même temps de recevoir un prêt de 10,2 milliards de dollars accordé par la Banque mondiale et le FMI le même jour. On se dit qu’il n’y a pas de hasard…
On est triste également à l’idée que notre pays, avec à sa tête François Hollande, ait refusé de l’accueillir après en avoir débattu avec Juan Branco, l’avocat de Julian Assange… vingt minutes ! Mais on est triste également quand on voit toute la bien-pensance médiatique, Le Monde, L’Obs, Libération, etc. lâcher Julian Assange comme elle le fait aujourd’hui. Et avec elle, le Guardian, le New York Times… Et on s’interroge. Wikileaks, cette mise à disposition du monde entier de milliers de documents de salubrité publique, ils en ont bien profité. Ils en ont vendu du papier avec tout ça. Comment a-t-on appris que la NSA écoutait le monde entier, y compris nos chefs d’État, Angela Merkel et François Hollande, par exemple… Et cette vidéo, Collateral murders, dans laquelle on voit un hélicoptère Apache américain exécutant des civils irakiens parmi lesquels figure deux reporters de l’agence Reuters avec au moins 18 personnes tuées dont des enfants… Pourquoi tous ces médias sont-ils aujourd’hui si peu reconnaissants ? Pourquoi lâchent-ils celui par lequel toutes ces ignominies ont été connues ? Alors, on cherche… et on trouve ! C’est que le même Julian Assange aurait « mal tourné ». Enfermé dans son ambassade, il aurait eu le mauvais goût de publier des mails compromettants pour celle que tous médias soutenaient, Hilary Clinton. 7 570 documents plus ou moins compromettants en ce qu’ils montraient la connivence, pour ne pas dire la servilité de la dame envers Wall Street et l’ensemble de ce qui fait la finance étatsunienne. Nos médias l’assurent : ces documents n’ont pu être collectés par Julian Assange que parce qu’ils lui avaient été donné par les hackers russes. Les preuves ? Aucune ! Et à supposer que cela fut vrai, ces mêmes médias ne trouvent rien à redire à ce que, dans une période comparable, en France, durant l’élection présidentielle de 2017, elles aient largement publié des documents tout aussi compromettants sur François Fillon et ses emplois fictifs. Et, pour le coup, on peut penser que sans ces documents, François Fillon eut pu devancer leur champion, Emmanuel Macron. Ainsi, donc, à les entendre, il ne fallait pas que l’électeur américain apprenne les turpitudes d’Hillary Clinton mais il était parfaitement possible que l'électeur français connaisse celles de François Fillon. Où est la logique si ce n’est celle du parti-pris ?
Ces donneurs de leçons sont décidément sans principe. De surcroît, s’ils pensent qu’Hillary Clinton a perdu l’élection présidentielle à cause de cela – et ils le pensent – ils se trompent lourdement. Les prolos de la rust belt qui, traditionnellement votaient démocrate ne pouvaient pas voter pour Hillary Clinton, celle qui représente tout ce qu’ils haïssent, elle et son mari, Bill, qui les ont laissé tomber, qui les méprisent. De cette « gauche »-là, ils ne veulent plus. Mais la thèse est trop belle. Si Hillary a perdu, c’est à cause de Moscou dont Julian Assange se serait fait le relai. Cela a le mérite pour cette gauche « éduquée » de n’avoir pas à s’interroger sur son allégeance au pouvoir de l’argent, ses relations plus que douteuses avec l’Amérique du fric, son lâchage du prolétariat américain au profit des « minorités » de toute nature… Bref, cela reviendrait aussi, chez nous, à s’interroger sur cette gauche française qui depuis tant d’années a suivi le même chemin. Et, bien sûr, il n’en est pas question. Enfin, et s’agissant des élections au cœur de l’Empire, pourquoi nos vaillants « journalistes d’investigation » ont-ils été d’une timidité de violette sur la triche qui a présidé aux primaires du parti démocrate, triche qui a conduit à l’éviction du seul capable de gagner face au « perruqué », Bernie Sanders ? Cela aurait pourtant été intéressant, non ?
Bref, une fois encore, avec Julian Assange, c’est une faillite ! On tentera de se consoler en se disant que si Julian Assange est extradé, il ne risquerait « que » cinq ans de prison puisque le motif avance pour cette extradition ne concerne que l’aide qu’il aurait apportée à Chelsea Manning, une de ses sources, à pirater des ordinateurs appartenant au ministère de la défense américain, afin de publier des documents secrets sur WikiLeaks. Mais qui dit qu’ils vont en rester là ? Outre que faire cinq ans de prison après avoir été, dans les faits, emprisonné sept années durant dans 20 m2 au rez-de-chaussée d’une ambassade n’est pas exactement un sort enviable, qui dit qu’une fois aux USA, d’autres charges ne vont pas être retenues contre lui ? Les accords d’extradition interdisent théoriquement que la justice américaine l’incrimine sur d’autres faits mais on sait combien cette justice sait obéir à la raison d’État et s’affranchir des règles les plus élémentaires du droit. Ainsi en a-t-il été de Guantanamo dont les prisonniers pourrissent depuis des années dans les geôles sans que nul juriste US n’y trouve à redire… Et puis, et à cette occasion, on ne manquera pas d’avoir une pensée pour Chelsea Manning dont on vient d’apprendre qu’elle venait de retourner en prison…
@ suivre…
P.S. : il semble que notre jupitérien président ait décidé de s’inviter ce soir dans nos téléviseurs et qu’on y apprendra, après les larmes convenues sur Notre-Dame de Paris, que, dans sa grande sagesse, il aurait décidé de prendre quelques mesures « révolutionnaires » :
- une baisse d’impôt en faveur des classes moyennes financée par la suppression de quelques niches fiscales ;
- une invitation faite aux français de travailler davantage via la suppression de jours fériés, la fin des 35 h et le recul de l’âge de départ à la retraite (62 ans actuellement, 67 ans dans les faits pour beaucoup) ;
- la réindexation des « petites retraites » (moins de 2 000 €/mois) ;
- la suppression de l’ENA ;
- des RIC « locaux » et une éventuelle révision à la baisse du seuil d’ouverture du RIP.
Si telles devaient être les annonces, on voit mal comment samedi prochain les Gilets jaunes pourraient ne pas descendre dans la rue et comment ne pourrait régner dans le pays un immense dégoût…
A découvrir aussi
- Les caves se rebiffent…
- Mouvement social et unité nationale
- Actes X, XI, "Grand Débat", grève générale ?..
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 61 autres membres