Actes X, XI, "Grand Débat", grève générale ?..
Dimanche 27 janvier 2019
Après un acte X qui, selon tous les observateurs, a montré que le mouvement des Gilets jaunes ne s’essoufflait en rien, des chiffres « politiques » du ministère de l’intérieur actant ce constat sans se départir du peu de rapport qu’ils avaient avec la réalité, et un acte XI ce samedi 26 janvier sur lequel nous reviendrons, chacun cherche sa voie…
Le pouvoir, d’abord, qui tente de faire croire au sérieux de l’opération « Grand Débat ». Sa Majesté mouille la chemise, convoque deux fois de suite 600 maires, fait dans le mode « grand oral » sous l’œil ravi des commentateurs politiques de cour qui ne manquent pas de montrer leur admiration pour ces exercices de communication. Ils se gardent bien d’expliquer que, chaque fois, pendant que les « gueux » vêtus de jaune sont soigneusement maintenus à distance, dans la salle, ce sont les préfets qui choisissent les maires habilités à intervenir avec des questions qui ont le bonheur d’être peu gênantes pour le monarque. Assemblées captives réunissant des édiles vieillissants, l’exercice apparaît rapidement pour ce qu’il est, une campagne électorale au frais de la princesse et dont les coûts ne seront jamais imputés à la liste européenne de LREM. Une fois n’est pas coutume, et sans doute par inadvertance, le « journal de révérence », Le Monde, en fera le constat en une de son édition du 25 janvier (datée du 26) :
Dans le même temps, les médias mainstream mouillent également la chemise. Alors que la dernière enquête La Croix – Kantar SOFRES (voir ici) est d’une cruauté sans pareille quant à la confiance que les citoyens leur accordent, ils continuent à distiller leur propagande de bas étage. France 2, par exemple, se fend d’une soirée « Grand débat » dans laquelle les Gilets jaunes brillent par leur l’absence. Pour en trouver, sans fard, il fallait consentir à fréquenter le très peu fréquentable Cyril Hanouna, flanqué de la sous-ministre Marlène Schiappa, et son émission « Balance ton post ! » sur C8 ce vendredi 25 janvier. Un record d’audience (1 million de téléspectateurs) et, par-delà le caractère passablement démago du présentateur, ses tutoiements de connivence avec certains de ses invités, un constat sévère pour le pouvoir avec des Gilets jaunes offensifs et ne s’en laissant pas compter, une sous-ministre bien à la peine dès qu’il fallait opposer un argument sérieux favorable au pouvoir et des votes des téléspectateurs qui plébiscitaient chacune des mesures proposées : rétablissement de l’impôt sur la fortune, taux zéro de TVA sur les produits de première nécessité, augmentation du budget des hôpitaux, peine plancher de trois ans de prison pour les fraudeurs fiscaux, etc.
Bref, un fiasco pour le pouvoir tant il est clair que si d’aventure aucune de ces mesures ne venait à figurer à l’issue du « Grand débat national » et, encore plus probable, que le pouvoir ne consentirait à aucune à l’issue du cirque censé durer deux mois, la réalité apparaitrait alors sans fard : tout ceci n’avait d’autre but que de temporiser dans le seul but de laisser le mouvement des GJ se dissoudre.
Sauf que, en outre, rien ne permet de penser que, dans le même temps, le mouvement s’essouffle. L’acte XI qui s’est déroulé ce samedi 26 en apporte confirmation. Partout des dizaines de milliers de Gilets jaunes et une question qui commence enfin à faire la une, celle des violences policières. Le débat s’installe enfin sur l’utilisation des flash-ball (LBD-40) et des grenades de désencerclement qui éborgnent et mutilent des gens dont le seul tort est de manifester, autrement dit d’user d’un droit reconnu par la Constitution. Saisi en référé par la Ligue des Droits de l’Homme et la CGT lui demandant de surseoir à l’utilisation de ces armes, le juge administratif avait ce jeudi débouté les plaignant en raison du fait que le ministère de l’intérieur venait fort opportunément de publier une circulaire rappelant à ses CRS et autres gendarmes mobiles les règles d’engagement de ces armes en y ajoutant le fait que, désormais, les porteurs de flash-ball seraient pourvus de caméras. Le juge s’était en outre déclaré incompétent sur le fond et avait renvoyé au Conseil d’État le soin de statuer…
Seulement voilà, le lendemain, alors donc que nos aimable pandores devaient être dotés de caméras, les témoignages abondent de porteurs de LBD-40 qui en étaient dépourvus. Et, cerise sur le gâteau, place de la Bastille, l’un des leaders des Gilets jaunes, Jérôme Rodrigues, filmant comme chaque samedi la manifestation en direct sur Facebook, alors qu’il se plaignait de ce que certains manifestants faisaient de la provocation, s’est pris un projectile dans l’œil droit. Nul ne sait à l’heure où sont écrites ces lignes quelle était la nature de ce projectile. L’IGPN s’est saisie de l’affaire et devrait, grâce aux caméras de surveillance qui abondent place de la Bastille, répondre à la question. Deux choses sont sures : 1. Jérôme Rodrigues ne participait en rien aux provocations qu’il dénonçait. Il filmait… 2. À supposer même, ce que l’on ne peut qu’espérer, qu’il garde l’usage de son œil droit, rien ne justifie qu’on en arrive là.
Nul ne peut présager des suites de cette affaire. Nombreux sont ceux qui ont en mémoire ce 6 décembre 1986 au cours duquel Malek Oussekine a trouvé la mort sous les coups de la police et les conséquences qui s’en suivirent. Comment sera perçu cet éborgnage d’un emblématique Gilet jaune dont tout le monde convient qu’il n’a rien d’un excité, qu’il n’a rien à voir avec les black blocs et autres antifas (qui se sont fait une spécialité d’affronter la police… pour mieux la servir et sans que jamais celle-ci ne se soit donné les moyens de les arrêter). Dans une période où nombreux sont les Gilets jaunes qui s’interrogent sur le devenir du mouvement, où nombre d’entre eux ont constaté que le gouvernement n’avait cédé 10 milliards qu’à partir du moment où le niveau de violence avait été élevé, on peut se demander si une fraction d’entre eux ne va pas être tenté de se radicaliser et de répondre aux violences policières par des violences de rues. On peut, bien sûr, ne pas le souhaiter mais on voit bien comment face à ce qui apparaît comme un usage « illégitime » de la violence par la police, certains peuvent en arriver à ce genre de conclusions. On peut aussi se demander si tel n’est pas ce que cherche le pouvoir. Au moment où le mouvement des GJ apparaît comme fracturé entre « modérés » faisant une liste aux européennes – on y reviendra ci-dessous – et une fraction plus radicale du mouvement qui n’entend pas se laisser détourner sur le terrain électoral, la tentation est sans doute grande pour le pouvoir d’augmenter cette fracture en suscitant de tels débordements policiers. Nombreux sont ceux qui se refusent à penser que Jérôme Rodrigues, dont la tête est connue de tous les policiers, ait été touché « par hasard ». Et il ne suffira pas de crier au « complotisme »…
S’agissant du mouvement des Gilets jaunes, la quinzaine passée a été marquée par l’annonce de la constitution d’une liste « Ralliement d’Initiative Citoyenne » – RIC, comme par hasard – conduite par l’une des figures du mouvement, Ingrid Levavasseur, flanquée de Hayk Shaninyan comme « directeur de campagne. Cette liste qui, pour le moment ne comporte que dix noms, fait évidemment polémique chez les Gilets jaunes. On y trouve d’ores-et-déjà un apprenti « marcheur » en la personne de Marc Doyer et une conseillère municipale UDI. Le fait que Bernard Tapie, grand soutien d’Emmanuel Macron, ait reçu tout ce petit monde dans les locaux de son journal La Provence le 5 janvier n’est pas sans interroger. Le fait qu’Ingrid Levavasseur le présente comme un « soutien moral » à la liste qu’elle conduit montre à tout le moins sa grande naïveté tant en ce qui concerne la « moralité » de Bernard Tapie que de l’absence d’arrière-pensées du milliardaire. Les sondages parus dans la foulée indiquent clairement que, comme il fallait s’y attendre, cette liste créditée de 13 % des voix n’affaiblit nullement la liste LREM mais l’ensemble des listes qui sont dans l’opposition au pouvoir (LFI, RN, DlF, etc.) dans un contexte où seuls 30 % des sondés affirment être certains d’aller voter…
S’agissant de cette participation à ce scrutin, nulle surprise : elle va croissant avec l’âge et la CSP… ce qui, bien sûr favorise outrageusement tant LREM que les écologistes.
Bien des choses peuvent se passer d’ici le 26 mai mais tout laisse à penser que ces élections ne dérogeront pas à la règle commune de ce scrutin : c’est un vote « de classe » auquel ne participent, pour l’essentiel, que les couches instruites et aisées du pays. Une sorte de scrutin « censitaire » qui ne peut faire que le jeu du pouvoir. Si, en outre, et le contraire serait surprenant, se présente une ou plusieurs listes GJ, c’est jackpot pour Emmanuel Macron et les siens. Ils n’auront même pas à faire campagne. Leur liste pourrait bien être conduite par une chèvre – et on sait que LREM n’en manque pas… – n’ayant pour tout programme que de « poursuivre le projet européen », elle obtiendra un score « honorable » venant pour l’essentiel des couches aisées à qui cette Europe « libérale » convient parfaitement, l’exact opposé de la France en jaune qui se manifeste depuis le 17 novembre.
Ce sondage et ceux qui suivront ne pourront que valider l’axe stratégique pris par Emmanuel Macron depuis son accession au pouvoir, un « ni gauche, ni droite » devenu « à droite toute » pour assécher tant le marais de la droite « classique » dite « républicaine » que de la « gauche » façon Hollande, Strauss-Kahn et Valls. Tenir sur les engagements des « réformes structurelles » libérales déjà entreprises et ne rien lâcher aux « gueux » vêtus de jaune. En sorte que l’on peut penser que la stratégie de pourrissement qu’a adopté Emmanuel Macron est en passe de se transformer en succès électoral aux européennes si rien ne change d’ici là. Bien évidemment, ce « si » là n’est pas peu. 4 mois, c’est long. Ce sont ces quatre mois qui, selon ce que le mouvement des GJ deviendra, décideront en grande partie de l’avenir de ce quinquennat. Que le mouvement se perde dans la violence pendant que le français « de base » se lasse et le programme de réformes aujourd’hui mis en sommeil reviendra de plus belle. Les mois qui suivront le vote des européennes pourraient alors être l’occasion pour le pouvoir d’accélérer la cadence et, ce, d’autant mieux que prévaudra le découragement de ceux qui s’y opposent.
Certains en sont conscients, y compris chez les Gilets jaunes et pas seulement. On a ainsi entendu récemment Éric Drouet, un GJ réputé « radical », expliquer à son groupe « France en colère » qui compte 120 000 membres que « Voter Gilets jaunes, c’est voter Macron ! » et appeler ensuite à participer à la grève « générale et nationale » du mardi 5 février prochain lancée par la CGT. On sait qu’entre les organisations syndicales et les GJ, l’entente n’est pas forcément « cordiale ». Philippe Martinez avait ainsi montré publiquement une méfiance certaine envers le mouvement. Mais il semble que des deux côtés, dans un souci d’intérêts bien compris, se soit fait jour l’idée que faire front commun pouvait être le seul moyen de gagner. Du côté de la « base » de la CGT, nombreux sont les militants qui, après un temps de méfiance, ont compris que les revendications des Gilets jaunes ressemblaient fort aux leurs. Du côté des Gilets jaunes, le constat que, certes, les manifestations du samedi étaient des succès mais qu’elles avaient fort peu de chance de faire plier le pouvoir si celui-ci n’y était pas contraint davantage, par une grève générale, par exemple. Et même si des gens comme Éric Drouet ne sont pas de fins lettrés, des militants aguerris, ils ne sont pas sans connaissance de ce qui, dans ce pays, a dans l’Histoire fait plier les gouvernements. Mai 36, mai-juin 1968 ont laissé des traces dans la « mémoire collective ». Et ils ont sans doute aussi conscience de leurs difficultés d’organisation. Le mouvement des GI est certes profondément « horizontal », ce qui fait en partie sa force, mais face à un pouvoir aussi « vertical », l’horizontalité a ses limites. On peut évidemment souhaiter que cette entreprise réussisse, que le 5 février soit le premier jour d’une grève générale qui se poursuive et ferait assez rapidement caler le pouvoir. Mais on peut aussi s’interroger sur la volonté des Gilets jaunes et du salariat en général de se lancer dans une telle affaire. Si les manifestations du samedi sont des succès, c’est aussi dû au fait qu’elles ne coûtent rien à ceux qui y participent. Autrement dit qu’elles n’amputent pas un pouvoir d’achat déjà problématique. Les salariés de ce pays vont-ils consentir à faire cet indispensable effort qu’est une grève dont tout laisse à penser qu’elle devra durer plus qu’une journée ? On peut l’espérer. On peut aussi en douter. Seuls les faits apporteront réponse à cette cruciale interrogation…
Affiche « Gilets jaunes » appelant à la « grève générale et nationale » du 5 février
@ suivre…
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