La campagne et les émeutes
Dimanche 12 février 2017
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Sujets traités :
- Fillon s’accroche et Bayrou se prépare
- Marine Le Pen entre en campagne
- Macron et ses soutiens
- Donald Trump a des soucis
- Après Zyed et Adama... Théo
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1. Fillon s’accroche et Bayrou se prépare
On le croyait fini, on lui cherchait un remplaçant, un « plan B » et, surprise, conférence de presse lundi, Fillon annonce qu’il persiste, qu’il est l’objet d’une infâme campagne médiatique, que rien ne le fera céder, qu’il ira jusqu’au bout. Certes, on sait que l’homme « a le cuir solide », comme il le dit, mais pourquoi n’a-t-il pas décidé de renoncer ? On peut avancer sans trop de peine deux raisons. 1°. Comme il le dit, la droite n’a pas de « plan B » dès lors qu’Alain Juppé a réaffirmé en fin de semaine qu’il n’en serait pas le porteur. 2°. Il pense que, malgré l’effet désastreux du Penelopegate, il garde une chance de gagner puisqu’il lui suffit d’être au 2nd tour face à Marine Le Pen et que, non seulement Chirac en son temps mais aussi tous les scrutins qui se sont tenus depuis 2012, en particulier les régionales, montrent qu’en cas de duel LR-FN, la droite l’emporte avec le soutien d’une partie des voix de gauche, par exemple comme lors des régionales en PACA où la gauche a disparu et fait élire le très droitier Christian Estrosi.
Enfin, et par ailleurs, il sait que le temps travaille pour lui. Il sait que le temps de la justice n’est pas celui de la politique, autrement dit que rien de tangible de ce côté n’adviendra d’ici le 23 avril. Il dispose pour cela des moyens juridiques permettant, quelle que soit la lourdeur du dossier, de ralentir l’action publique. Et, donc, plus l’échéance approche, plus probable est que la justice hésitera à le mettre en examen. Il ne doute pas, de surcroît, que, même s’il apparaît clairement que Penelope Fillon n’a en rien travaillé pour lui comme attachée parlementaire, il est très difficile de le prouver. Les manœuvres de ralentissement ont donc commencé dès le début de semaine avec la remise en cause de l’autosaisine du parquet national financier. Ses avocats et lui ont donc fait valoir que le délit de détournement de fonds publics ne s’applique pas à un parlementaire puisque celui-ci n’est ni dépositaire de l’autorité publique ni chargé d’une mission de service public, au contraire d’un maire, par exemple. On comprend ici qu’après avoir demandé que la justice fasse au plus vite, Fillon et ses avocats ont changé de stratégie et ont l’intention de faire en sorte que tout aille le plus lentement possible. On sait que les avocats ont ce talent, coûteux, de faire qu’une affaire ne trouve sa conclusion que cinq ou dix ans après les faits, les exemples ne manquent pas…
Sur le terrain politique, François Fillon repart donc en campagne. Son camp, avec le courage qu’on lui connaît, a donc décidé de le soutenir faute de mieux. À la clé, pour eux, ce qu’il advient dans ce merveilleux pays qui fait que, dès lors que vous avez gagné la présidentielle, vous êtes à peu près assuré de faire un raz-de-marée aux législatives qui suivent. Les tenants du « plan B » ont donc fait marche arrière, sont rentrés dans leurs coquilles. Au demeurant, les échos de campagne ne sont pas bons. Nombre d’interventions prévues doivent être annulées et celles qui se déroulent se font sous les quolibets de foules qui ne sont pas dupes. Par delà les arguties juridiques, il reste la faute morale et le niveau des sommes perçus par Penelope manifestement sans commune mesure avec ce que Fillon dit qu’elle a fait pour lui : prendre des rendez-vous, répondre au téléphone, etc.
Le Canard Enchaîné dans sa livraison de mardi en a rajouté une couche en mettant sur la place publique les indemnités de licenciement qu’a perçues Pénélope : 45 000 € payés par l’Assemblée nationale ! Sans doute, et là encore, est-ce légal dès lors que cela correspond à une activité réelle préalable. Mais qui croit encore dans ce pays que Penelope a en quoi que ce soit réellement fait ce travail ? Et, dès lors, tous ceux qui sont confrontés à ces problèmes de licenciement ne manquent pas de comparer ce qu’eux ou leurs enfants, leurs voisins touchent dans ce cas. Et la comparaison est alors terrible : voilà un candidat dont le programme propose de rendre dégressives les indemnités de licenciement, de réformer le code du travail pour que, quelle que soit la faute du patron qui licencie, l’indemnité soit plafonnée, un candidat, donc, qui n’a aucun scrupule à percevoir, via sa femme au foyer, de telles indemnités. C’est ravageur !
Il en est un qui l’a bien compris et qui croit voir, en ces circonstances, un espace politique s’ouvrir à lui. C’est François Bayrou. Invité ce 8 février à l’émission matinale « 4 vérités » de France 2*, il n’a pas hésité à mettre tout cela en exergue. Qu’on en juge. À Caroline Roux qui lui demande « Vous avez déclaré, dimanche dernier, que François Fillon n’avait pas d’autre choix que de renoncer. Il apparaît un autre choix : tenir, se défendre, c’est de l’entêtement ou c’est de la détermination ? », il répond « Il faut qu’on mesure ce qui se passe dans notre pays aujourd’hui. Et j’ai l’impression que certains responsables politiques ne le mesurent pas. Le sentiment d’exaspération, d’écœurement, le sentiment de trahison que ressentent un très grand nombre de citoyens de tout bord, spécialement des électeurs de droite qui croyaient que la primaire – je n’y ai jamais crû, comme vous le savez – qui croyaient que la primaire allait résoudre leurs problèmes et leur rendre leur fierté. Et ils voient aujourd’hui, sous leurs yeux, se déliter, preuve après preuve, élément après élément, au fond, avec deux thèmes qui sont extrêmement lourds : le premier, dans quel monde ces gens vivent-ils ? Les sommes qui sont annoncées, est-ce qu’ils savent qu’une infirmière, c’est 1 300 €, est-ce qu’ils savent qu’un fonctionnaire de catégorie C, vous savez, ceux qu’ils accusent tout le temps de ne pas faire leur travail, c’est 1 180, 1 250 €. Est-ce qu’ils savent qu’un Maître de conférences à l’université, débutant, c’est 1 600 ou 1 700 € après dix ans ou douze ans d’études, et un professeur… » et il précise un peu plus tard « Et il y a une deuxième chose qui est en train d’apparaître aujourd’hui et qui est pire encore : c’est que de très grandes sociétés multinationales se paient des hommes politiques… (les) appointent, donnent de l’argent à des hommes politiques pour qu’ils les aident à “ouvrir des portes”, comme on dit, à se servir de leur relations pour leurs intérêts ». La journaliste lui demande alors : « Vous faites référence à quelle affaire et à quel dossier, à quelles sociétés ? »
Réponse de François Bayrou : « Ce qui a été annoncé hier, y compris par François Fillon lui-même, par sa société de conseil et les sommes incroyables… 200 000 € par ci, 200 000 € par là… » Et on reconnaît là 2F Conseil, cette société créée par François Fillon durant le mois qui a séparé son départ de Matignon et son retour à l’Assemblée nationale, autrement juste avant qu’il ne puisse plus le faire, les parlementaires étant tenus de ne pouvoir que poursuivre une activité déjà engagée mais n’en pas créer. Autrement dit, on sait que François Fillon, sachant qu’il allait retrouver son siège, a profité du court moment où il n’était plus Premier ministre et pas encore parlementaire pour créer cette société. On sait en outre qu’un des principaux donateurs, pardon « donneur d’ordre », de 2F Conseil est la principale compagnie d’assurance Axa, dont le PDG d’alors est maintenant dans le staff de François Fillon, à savoir Henri de Castries.
En fin d’interview, on notera cette phrase qui ne laisse plus guère de doute quant aux intentions de François Bayrou : « Le sujet qui va se poser pour les Français, pour les millions de Français, c’est : est-ce que nous prenons notre destin en main et est-ce que nous disons stop à ces pratiques ? (…) Moi, en tout cas, je vous dis, je ne laisserai pas faire ça... »
On comprend sans peine que si, à l’occasion de cette émission, François Bayrou se refuse à se déclarer candidat, il y songe plus que sérieusement. Une seule chose semble encore le retenir : Alain Juppé va-t-il maintenir sa position ? Il est clair que si tel est le cas, François Bayrou sera candidat. La réponse sera connue sous peu… une semaine, tout au plus.
* Interview de François Bayrou : ici.
Dernière minute : le JDD fait état dans sa livraison du jour d’une probable mise en examen de François Fillon dans la semaine qui vient. Si tel était le cas, on se demande si le candidat respectera ce qu’il a affirmé le 26 janvier sur TF1 « Une seule chose pourrait m'empêcher d'être candidat, c'est si mon honneur était atteint, si j'étais mis en examen » ou, dans la veine de ce qu’il cultive en ce moment dans ses meetings, s'il criera au complot et persistera à rester le candidat « de la droite et du centre »… À noter, au passage et s’agissant de ses meetings, l’âge considérable des participants. La France grise, très très grise… voir, par exemple ici, à Poitiers :
2. Marine Le Pen entre en campagne
L’entrée en campagne de Marine Le Pen se concrétise médiatiquement en étant l’invitée de « l’Émission politique » de France 2 ce jeudi 9 février. Grande audience, donc, pour la championne du FN à qui les journalistes – David Pujadas, Léa Salamé, François Langlet – ne feront guère de cadeau. Comme prévu, et suite à l’affaire Fillon, elle se verra reprocher ses emplois fictifs d’attachés parlementaires au Parlement européen (sa directrice de cabinet et son garde du corps) et, bien sûr, elle assurera qu’ils ont effectivement travaillé pour elle… contrairement à Penelope s’agissant de François Fillon. La porte étant ouverte sur ce sujet, elle se lancera dans la dénonciation des accointances entre François Fillon et Axa via 2F Conseil dont nous avons parlé plus haut. Sur le terrain économique avec l’ineffable Benoît Langlet, elle sera évidemment attaquée et de façon assez convenue sur le chiffrage de son programme. Et, bien sûr, et toujours comme convenu, Pujadas, Salamé et Langlet, aidés en cela par une chef d’entreprise censée représenter en partie « les Français », l'attaqueront sur la sortie de l’euro. Passons sur la chef d’entreprise dont le seul souci était le devenir de sa TPE spécialisée dans la fabrication de selles de cheval et qui risquerait donc, en cas de sortie de l’euro, de voir sa matière première devenir plus chère au motif que le cuir dont elle se sert ne peut se trouver que dans le nord de l’Europe (les vaches françaises ne conviennent semble-t-il pas). Comme si l’avenir d’un pays devait se juger à l’aune d’un cas aussi particulier. Plus sérieusement, donc, il fut mis en avant que si le France sortait de l’Europe, le franc serait remis en service à parité avec l’euro au départ puis dévalué pour compenser le différentiel avec l’euro-mark en cours et, donc, la dette française se verrait alors augmenter d’autant. Et puis, cerise sur le gâteau, on lui présentera le cas des frontaliers du Nord ou d’Alsace qui, horreur de l’horreur, devraient alors devoir passer par le change lorsqu’ils iront en Belgique ou en Allemagne. Terrible, en effet, il suffit de voir en quoi un tel système décourage les frontaliers Franc-Comtois d’aller travailler en Suisse... Marine Le Pen n’aura donc aucun mal à rappeler qu’il s’agit là de la règle régissant 95 % des pays du monde. Sur la dette, elle rappellera qu’elle est à 90 % libellée dans la monnaie de notre pays et que, donc, selon le principe selon lequel si le pays change de monnaie, les contrats suivent, le passage Euro-Franc sera sans incidence sur la majeure partie de la dette. À noter, à ce propos, qu’à aucun moment elle n’envisage de ne pas rembourser cette dette et que le débat, contrairement à ce qui se passait auparavant, n’a pas porté sur monnaie unique/monnaie commune alors que c’est pourtant là, un vrai débat.
Mais, il fallait s’y attendre, le socle du programme n’est pas tant le programme économique qu’une partie de la gauche et nombre d’économistes de renom dits « hétérodoxes » ont largement inspirée, mais sur l’immigration et la laïcité. Sur l’immigration, elle fait dans le simple et le brutal : tous les étrangers en situation irrégulière seront renvoyés chez eux par tout moyen possible (avions, bateaux, etc.) et, en attendant, leurs enfants seront interdits d’école. Dans la même veine, les étrangers n’auront accès aux assurances sociales qu’après deux ans passés dans le pays. Au passage, cette mesure figure dans le programme de François Fillon pour les étrangers extra-communautaires sans que cela ne soulève le moindre tollé dans les media... C’est évidemment, dans les deux cas, une bien étrange conception de l’humanité et de la sécurité que d’exclure des soins et de l’éducation des gens qui résident chez vous. Imagine-t-on vraiment le renvoi de gens malades ? Imagine-t-on de laisser des gamins dans la rue à l’heure où tous leurs camarades sont à l’école ? Imagine-t-on le risque que l’on prend à laisser ces mêmes gamins à la merci de radicaux sans scrupules qui, eux, se chargeront de leur donner une éducation que, par ailleurs, on considère être une menace pour la République. Tout ceci est évidemment à la fois absurde et contre-productif, c’est-à-dire dangereux.
La surprise de l’émission ne fut pas tant dans le débat très convenu qui opposé MLP à NVB (Najat Valaud Belkacem) que dans l’invité surprise, à savoir celui qui fut le conseiller très spécial de Nicolas Sarkozy, Patrick Buisson, inspirateur, entre autres, du discours de Grenoble... et d’une ligne politique consistant à chasser sur les terres du FN sur le mode identitaire dans la droite ligne de cette droite maurassienne dont Buisson se revendique.
Patrick Buisson commença par distinguer dans les actuels candidats ceux qui se disaient patriotes, à savoir MLP, bien sûr, et Jean-Luc Mélenchon ! Pas faux, à la différence près, et elle n’est pas mince, et c’est ce que s’empressa de souligner MLP, que JLM ne fait pas, comme elle, dans le chapitre chasse aux immigrés et, plus généralement, aux étrangers. En foi de quoi, l’anti-européisme et l’anti-mondialisme affiché de JLM ne fut-il déclaré que de façade… Et Buisson enchaîna alors sur les éventuels reports de voix d’un second tour auquel tout le monde pense que MLP accédera sans trop de problème et sur lequel des enquêtes d’opinion font état de reports de voix qui peuvent surprendre en ce que la moitié des électeurs de JLM se reporteraient sur MLP au 2nd tour, autant que les électeurs LR si Fillon ne devait pas en être. Difficile de trouver trace de ces enquêtes mais, connaissant Buisson et son amour immodéré pour les enquêtes d’opinion dont il fut, rappelons-le, grand bénéficiaire sous le mandat de Nicolas Sarkozy, on peut penser qu’elles existent. La question étant, de qui MLP se sent-elle le plus proche s’agissant de ces reports, la réponse fut convenue sur le mode « nul n’est propriétaire de ses voix et je prendrai tout ce qui viendra ». Comment le lui reprocher, en effet ?.. Au passage, ce même Buisson dont le caractère « réactionnaire » est par lui revendiqué, reprocha à MLP d’être « forte avec les faibles et faible avec les forts » en ne taxant que faiblement la main d’œuvre étrangère à hauteur de 3 % (MLP corrigea avec 10 %) et en voulant priver les enfants d’immigrés clandestins de toute éducation, autrement dit de les rendre responsables de la situation alors que – et c’est Buisson qui le dit – « ce sont les employeurs et les patrons qui font venir cette main d’œuvre, mal payée sans doute, désyndicalisée, c’est vrai, pour restaurer leurs marges ». La réponse fut sans trop de surprise quant à cette apparente contradiction : il s’agit là d’une mesure visant à couper les pompes aspirantes de l’immigration. Argument classique consistant à penser que si tous ces malheureux se précipitent chez nous, c’est pour jouir du confort que donne la sécurité sociale, l’école, etc. Et, bien sûr, on ne s’étonnera pas de ce que MLP n’envisage nullement de permettre à l’inspection du travail de jouer tout son rôle dans le contrôle des employeurs de cette main d’œuvre tant on sait que les dits employeurs, grands et petits, peuvent tout aussi bien pencher politiquement en sa faveur et être sans aucun scrupule quant à la situation de ceux qu’ils emploient. Il est donc beaucoup plus facile sur ce terrain de montrer du doigt tous ces « profiteurs » que seraient les immigrés que de tarir la source même qui les a fait venir, à savoir la misère qui les pousse à l’exil et toutes ces entreprises qui se servent d’eux pour faire pression sur les salaires et améliorer leurs marges. La suite des questions de Buisson fut sur le registre « identitaire », MLP étant déclarée au vu de son programme sur le sujet comme « l’héritière cachée de Jacques Chirac » puisqu’elle se refusait, comme lui, à souscrire aux « racines chrétiennes de l’Europe ». Piquée, MLP affirma qu’elle était favorable à l’inscription des « racines chrétiennes » dans la constitution européenne même si elle faisait sienne ce que disait Paul Valéry « J’appelle européenne toute terre qui a été successivement romanisée, christianisée et soumise à la discipline des Grecs ». En conséquence de quoi le débat se porta sur la laïcité et la conception que MLP s’en faisait, autrement dit un « laïcisme agressif » au yeux de Buisson. Moyennant quoi, au reproche fait d’être soupçonnée de tiédeur à l’endroit des religions et, en particulier du refus de traiter l’islam comme les autres religions, MLP put dérouler sa proposition d’étendre à l’ensemble de l’espace public ce que la loi de 2015 a retenu pour l’école, autrement dit de bannir dans cet espace tout signe religieux « ostensible ». Enfin, Buisson l’attaqua sur sa position quant au mariage homosexuel du fait que l’argument de MLP tenait non pas à la nature « libérale » de cette mesure mais à ce que c’était une revendication minoritaire chez les homosexuels. La réponse sur ce point est connue, MLP propose une « union civile », autrement dit « une amélioration du PACS » tout en étant contre le mariage en ce qu’il porte en germe la PMA et la GPA et fonde la filiation « qui doit être le fait d’un papa et d’une maman ». En d’autres termes, il s’agit là pour MLP de chasser sur les terres de la Manif pour tous, autrement dit de cette partie de l’électorat de droite qui serait aujourd’hui, dit-on, davantage portée vers Fillon que vers elle, elle dont l’absence aux manifestations a été tant remarquée.
La partie du débat voyant MLP confrontée à Najat Valaud-Belkacem, actuelle ministre de l’Éducation, fut plus convenue puisqu’il nous fut donné de voir le très classique affrontement entre tenants de la transmission des savoirs et de l’autorité du maître défendues par MLP à la vision qui fait autorité depuis des lustres au ministère de l’Éducation, quelle que soit la majorité politique en place, défendue par NVB. MLP ne se priva évidemment pas de rappeler les résultats catastrophiques des diverses enquêtes internationales pour juger de ces politiques et, dans la foulée, la réalité constatée d’une baisse considérable de la part des enfants d’ouvriers et d’employés dans les Grandes écoles. NVB refusa bien sûr ce triste constat, cultivant la béatitude, la sérénité et jugeant, peu ou prou, qu’elle se voit sans aucun doute comme l’une des meilleurs ministres que ce noble ministère a connus au vu de ce qu’elle juge être un très bon bilan. Ceux qui sont « sur le terrain », comme on dit, savent ce qu’il en est, en particulier ceux qui ont à vivre avec la dernière réforme connue, celle du collège qui a, une fois encore, détourné la grande majorité des professeurs du PS. On notera que, s’agissant du collège, MLP envisage de rétablir la sélection à la fin de la 5ème, c’est-à-dire un retour vers ce qui se faisait dans les années 60… l’« intelligence de la main » étant censée venir au secours de cette politique et le fait que l’un des fils de MLP soit passé par la voie professionnelle la meilleure preuve de sa conviction d’avoir là la meilleure solution à l’échec scolaire que connaît le collège. Une telle mesure va à rebours de décennies entières visant à ce que l’on connaît sous le nom de « démocratisation », la « réforme Haby », ministre de droite, étant alors mise au panier. Il va sans dire que même si l’on peut être en effet très sceptique quant aux résultats du Baccalauréat et du niveau réel qu’il sanctionne, revenir à la sélection en 5ème, privant une masse d‘élèves d’enseignement général revient évidemment à les mettre irrémédiablement de côté et se refuser d’affronter la dure réalité, refuser de donner à l'institution les moyens de faire face à ce défi qu’est la grande difficulté scolaire. C’est donc bien là une proposition stricto-sensu « réactionnaire » dont, au demeurant et évidemment, les victimes seront à l’évidence les enfants des classes populaires.
Pour autant, et s’agissant de laïcité, NVB eut beau jeu de rappeler que le FN s’était opposé à la proposition de loi visant à donner au ministère un contrôle préalable à l’ouverture d’un établissement privé hors contrat. On sait, en effet, que sur ce terrain, l’ouverture « sauvage » d’écoles à forte prégnance islamiste, façon frères musulmans, pose un sérieux problème et qu’il en va probablement de même de certaines écoles catholiques grand teint. Ce fut là l’occasion pour MLP de rappeler que si l’une des premières manifestations auxquelles elle a participé fut celle en faveur de l’école libre (en 1984), elle-même et l’ensemble de ses enfants avaient fait leur scolarité dans l’enseignement public ce qui était loin d’être le cas d’un grand nombre de hiérarques socialistes… Même si on peut s’étonner de l’absence de cohérence de MLP sur cette affaire, on peut aussi, sans grand risque, reconnaître aux socialistes leur capacité de faire des réformes nocives dont leurs propres enfants n’auront jamais à faire les frais, l’École Alsacienne étant, parmi d’autres, un très bon exemple de cette exemption.
Enfin, au terme de l’émission, on eut droit au très classique sondage censé donner la mesure de la capacité de conviction de l’invité. 41 % des téléspectateurs se déclareraient convaincus par MLP et, accessoirement et sans surprise, parmi eux, 97 % des sympathisants du FN. À titre de comparaison, ce 41 % est du même étiage que celui obtenu par l’ensemble des invités précédents de l’émission : 40 % pour Benoît Hamon et 38 % pour François Fillon (avant que n’éclate le Penelopegate et autres affaires qui le touchent).
Le lecteur sera peut-être surpris que tant de place soit prise ici à commenter cette émission dont l’invitée promeut des opinions, des positions, une politique qui sont à l’opposé de celles du rédacteur de ce blog. L’idée est assez simple : on ne combat bien que ce que l’on connaît vraiment et, donc, les idées de l’adversaire, en l’occurrence ici de MLP, doivent être prises au sérieux et combattues pour ce qu’elles sont et non pour ce pour quoi on préférerait qu’elles fussent. L’ignorance n’est en aucun cas le bon outil. Le lecteur pourra retrouver ici l'intégralité de l'émission.
À noter que la prochaine Émission politique de France 2, celle du 23 février, a pour invité Jean-Luc Mélenchon, l’occasion pour nous de rendre compte, sans doute plus favorablement, des idées que défend le leader de la France insoumise. Un rendez-vous, on l’aura compris, à ne pas manquer…
3. Macron et ses soutiens
Selon une formule célèbre, dis-moi qui te soutiens, je te dirai qui tu es, il n’est pas sans intérêt de voir qui sont ceux qui portent, soutiennent ou se disent proches du candidat Macron :
- Des politiques, d’abord, tels le sénateur-maire “socialiste” de Lyon, Gérard Colomb qui est au socialisme ce que les œufs de lump sont au caviar ; Richard Ferrand, député PS du Finistère et secrétaire général d’En Marche ; Corinne Lepage qui s’est fait un petit nom dans le milieu écolo en étant l’avocate des victimes de l’Amoco Cadiz et de l’Erika, ex-ministre de l’écologie de 1995 à 1997 ; Bernard Kouchner, ex ministre de Mitterrand et Sarkozy (!) ; Daniel Cohn-Bendit, dit « Dany le Rouge » en 68 reconverti en élu vert en Allemagne revendiquent d’être un « libéral-libertaire » et aujourd’hui reconverti dans le commentaire des matchs de foot ; Richard Ferrand, député PS et rapporteur de la loi Macron auxquels il convient d’ajouter une quarantaine d’élus PS ou radicaux dits « de gauche » ; Renaud Dutreil, ancien ministre de la Fonction publique puis des PME sous la présidence Chirac, a quitté la politique en 2008 pour devenir chef d’entreprise ;
- Des gens des media ou de l’intelligentsia telle Laurence Haïm, ex-correspondante permanente de Canal+ et de l’agence CAPA à New York et que voit en Emmanuel Macron le « french Obama ». On mesure là le sens de la finesse de cette journaliste dont les reportages passés étaient à peu près tous d’une rare sottise… ; Laurent Bigorgne, directeur de l’institut Montaigne dont la proximité avec le MEDEF n’est pas une légende urbaine ; Thierry Pech, directeur de Terra Nova – « think tank » réputé proche du PS qui a théorisé la fin de la recherche du vote populaire par le PS mais qui, pour le moment, ne se reconnaît qu’une « proximité intellectuelle » avec Macron ; Érik Orsenna, ancien du PSU, Sciences-Po Paris, ex-enseignant l’économie à Normale Sup’ et la London School of Economics, ex-« plume » de François Mitterrand, écrivain et académicien ; Philippe Aghion, économiste, professeur au Collège de France, favorable à la dérèglementation du marché des biens et à la libéralisation du marché des services (Rapport Aghion, Pisani-Ferry & Cohen, 2006) et qui dit sa « proximité » avec Macron ; Jacques Attali, ex conseiller spécial de François Mitterrand, écrivain et dont la commission éponyme avait été présidée par… Emmanuel Macron ;
- Venant du « monde des affaires » et de ses promoteurs, Xavier Niel, le patron du groupe Illiad-Free et copropriétaire du Monde ; Marc Somoncini, fondateur de Meetic, site de rencontres en ligne ; Bernard Mourad, fidèle de Patrick Drahi, Directeur général adjoint du pôle médias du groupe SFR, filiale du groupe Altice ; Didier Casas, directeur général adjoint de Bouygues Telecom, en congé de ses fonctions durant la campagne ; Saïd Hammouche, patron du cabinet de recrutement Mozaik RH, surnommé le « DRH des banlieues » ; Pierre Bergé, 86 ans, co-fondateur de la maison Yves-St-Laurent, co-propriétaire du Monde et symbole de la « gauche caviar » ; Alain Minc, Mines, IEP, ENA-Inspection des finances, conseiller financier de Carlo De Beneditti qui le vira suite à l’échec de l’OPA sur la Société générale de Belgique, ex conseiller de Balladur, Sarkozy, et Juppé, préside actuellement le conseil d’administration de Sanef (Société des Autoroutes du Nord et de l'Est de la France) après avoir été partisan de la privatisation des autoroutes, préside la société des lecteurs du Monde, etc. Bref, ce qu’on fait de pire dans l’entre soi entre finance et Enarchie… ; Henry Hermand, mort en novembre dernier à 92 ans, fortune faite dans l’immobilier, administrateur de Terra Nova ; Claude Bébéar, fondateur d’Axa, créateur de l’institut Montaigne ; Catherine Barbaroux, présidente de l'Association pour le droit à l'initiative économique (Adie), celle qui avait remis à Bercy un rapport proposant de revoir les qualifications professionnelles nécessaires pour certains métiers, en foi de quoi quiconque le voulait pouvait ouvrir un salon de coiffure… ;
Il se dit, par ailleurs, que l’héroïne de la « bravitude », Ségolène Royal, viendrait bientôt exprimer son soutien à Macron.
Bien évidemment, on peut penser que, plus l’échéance approchera, plus se dévoilera le « cercle des amis » d’Emmanuel Macron. En tout état de cause, on voit bien qu’il s’agit là de la galaxie néo-libérale dans tous les sens du terme, autrement dit aussi bien dans le sens commun économique mais aussi sur le terrain sociétal. Autrement dit, le cercle de tous ceux qui se réjouissent d’un système dont ils tirent le meilleur, les bénéfices sonnants et trébuchants, les « winners » de la globalisation qui met le pays à genoux et le monde en danger.
S’agissant de la campagne du candidat, ce qui frappe c’est le vide abyssal des propositions. Emmanuel Macron y scande « Liberté, Égalité, Fraternité », « Bleu, Blanc, Rouge » et autres fadaises sans consistance rappelant en cela ce qu’on a pu reprocher aux discours des politiciens Étatsuniens qui affichent de mielleuses et sucrées déclarations aussi vides que les politiques qu’ils promeuvent sont mortifères pour la masse de la population dont ils souhaitent obtenir les suffrages. Pour s’en convaincre, voyez ici, c’est édifiant…
4. Donald Trump a des soucis
Le décret pris par Donald Trump connu sous le nom de « Muslim ban » fait des vagues. Au sein des pays musulmans, bien sûr, et y compris chez ceux qui ne sont pas visés par le décret, au sein des « intellos » du monde entier, assurément et conformément à ce qu’on pouvait en attendre d’eux, mais aussi aux USA où il conduit des milliers d’Étatsuniens à défiler, à se rassembler, dans les aéroports en particulier. Plus surprenant, peut-être, pour les non initiés aux arcanes de la vie des USA, il s’est trouvé un juge fédéral de l’État de Washington, James Robart, peu soupçonnable d’être liberal (de gauche, comme on dit chez nous) puisque nommé par Bush en 2003, pour l’annuler et, cette semaine, une cour fédérale d’appel pour lui donner raison. Trump, évidemment, ne décolère pas. Qu’un « petit juge » ose s’opposer à lui ne fait pas partie de son univers. Dans son empire, dans le monde de l’entreprise, les subordonnés obéissent ou prennent la porte ! Il faut donc s’attendre à ce que Trump fasse appel devant la Cour suprême, ce qui, on s’en doute, risque de prendre du temps, un temps largement supérieur aux 120 jours durant lesquels le décret était censé s’appliquer.
Ce qui frappe l’esprit d’un français non averti, c’est qu’il puisse se trouver des ressources de droit, des juges suffisamment indépendants pour s’opposer à la volonté présidentielle. Disons-le, chez nous, il n’est pas certain que notre “monarque républicain” dispose de tels contrepouvoirs… Par ailleurs, on peut aussi s’étonner de l’argument invoqué par Trump et ses suppôts à l’appui de ce décret puisqu’en fait, aucun des terroristes ayant visé les USA n’était ressortissant des pays visés par le décret (Iran, Irak, Syrie, Soudan, Somalie, Libye, Yémen) alors que Ben Laden et ses petits camarades avaient tout à voir avec des pays comme le Pakistan ou l’Arabie Saoudite qui en sont exclus. On comprend par là qu’il s’agissait pour Trump de flatter ses électeurs dans le sens du poil en leur désignant des pays sans poids réel et sans rapport avec la menace terroriste prétextée. Enfin, on ne peut être que frappé par le faible nombre de réfugiés originaires des pays visés qui ont été accueillis par les USA en 2016. Quant au caractère d’urgence justifiant le décret, il prête à sourire…
Mais, bien évidemment, pendant que l’on se focalise sur cette affaire de Muslim ban, la vie continue, en particulier en ce qui concerne les nominations des ministres. Sur ce plan, on n’est pas déçus. Déjà, fin novembre, Le Figaro, cette gazette gauchisante appartenant au milliardaire délinquant, Serge Dassault, voyait dans le gouvernement de Trump un « club de milliardaires » (voir ici). On peut supposer que Le Figaro s’y connaît en ce domaine…
Faisons ici un point d’étape…
Éducation : Betsy DeVos, une milliardaire de 59 ans qui a consacré sa vie à la privatisation de l’éducation… Elle doit sa nomination à Mike Pence, Vice-Président, celui-ci ayant fait usage de sa voix prépondérante en cas d’égalité au Sénat (deux sénateurs républicains ayant fait défaut au vu de l’inconsistance de la candidate).
Environnement : Scott Pruitt, climato-sceptique dont le premier acte est de réactiver le projet de pipeline Dakota Access (1 885 km) destiné à acheminer du pétrole de schiste (470 000 barils/jour) en provenance du Canada et au grand dam des amérindiens chez qui il doit passer ;
Travail : Andy Budzer, ex-PDG de CKE, une chaîne de restauration rapide qui s’est fait remarquer par sa lutte contre toute augmentation du salaire horaire à 7,25 $/h et favorable à une automation maximale dont le plus grande vertu sera, bien sûr, de supprimer des emplois ! ;
Santé : Tom Price, ex-chirurgien orthopédique opposé à l’Obamacare, à l’avortement et au mariage gay. « Le nommer secrétaire à la Santé, c’est comme demander au renard de garder le poulailler », s’est indigné le chef des démocrates au Sénat, Chuck Schumer. Ce qui ne l’empêcha évidemment pas d’être validé par les sénateurs républicains…
Énergie : un « texan », Rick Perry, ancien gouverneur du Texas durant 15 ans, totalement conservateur sur l’ensemble des questions sociétales telle la peine de mort (largement en usage au Texas), l’avortement et, dans le domaine qui lui dévolu, a largement autorisé le recours à la fracturation hydraulique pour exploiter le gaz de schiste. Venant d’un texan et connaissant le poids des pétroliers dans cet État, on ne sera pas surpris…
- Affaires étrangères : Rex Tillerson, ex-patron d’ExxonMobil et qu’on dit proche de Moscou au motif que, dans le domine du pétrole, la Russie est un partenaire obligé avec qui sa compagnie avait tout intérêt d’être en bons termes…
- Économie : en attente de confirmation par le Sénat, un ancien de Goldman Sachs et ancien soutien d’Hillary Clinton puis de Donal Trump, Steven Mnuchin, un représentant des plus typique de l’oligarchie financière, de ce que Donald Trump a vilipendé durant sa campagne. Le « Government Sachs » continue, quel que soit le pouvoir en place…
Non controversé, en apparence :
- Défense : le général James Mattis issu du corps des Marines, ayant servi dans ce corps lors de la guerre du Golfe, en Afghanistan et en Irak. Il vient de se voir confirmé à ce poste par le Sénat par 98 voix Pour et 1 voix Contre. Son surnom : « Le chien fou » ou le « moine guerrier ». On appréciera sans aucun doute son propos tenu à l’endroit de jeunes recrues : « La première fois que tu descends quelqu'un, ce n'est pas rien, c'est le moment où tu réalises qu'il y a des trous de balle dans le monde qui ont besoin d'être refroidis. » propos qui sont le signe de toute la finesse dont le corps des Marines fait profession…
Ceci étant, pendant que se poursuivent les séances de confirmation des ministres au Sénat, Donald Trump reçoit le 1er ministre japonais Shinzo Abe. Au programme, après la dénonciation par Trump de l’accord commercial transpacifique (TPP), une recherche d’accord commercial bilatéral USA-Japon entre la première économie du monde et la troisième. Autrement dit, la concrétisation d’une alliance commerciale dont la Chine sera évidemment la cible en Asie et, ce, après que Theresa May, 1ère ministre de la Grande Bretagne a été reçue, montrant ainsi la volonté des USA de réchauffer les liens avec le pays qui sort de l’Europe. En ligne de mire, ici, l’Allemagne et ses satellites, dont la France… Où l’on voit que loin d’être l’idiot que l’on dépeint volontiers, Donald Trump peut aussi être stratège d’une America first promise à ses électeurs.
Il n’est pas sans intérêt de suivre ce qu’en dit un Emmanuel Todd, volontiers stipendié après son « Qui est Charlie ? » et qui, sur bien des sujets, a un regard tout à la fois original et aiguisé. Par exemple, lors de son passage dans le 4ème numéro de l’émission de Frédéric Taddéi, « Hier, aujourd’hui, demain » ce 15 décembre (voir ici) ou encore son passage à « La grande table » de France culture ce 10 février (voir ici) où Emmanuel Todd va, une fois encore, choquer le sens commun lorsqu’il affirme voir dans l’élection présidentielle américaine (l’élection de Donald Trump et la demi-défaite de Bernie Sanders dans le camp démocrate) une retour de la démocratie et de voir que les USA et l’Angleterre, les deux pays qui ont lancé la globalisation, sont en train de faire marche-arrière tandis que, chez nous, le droite nous propose de diriger le pays avec la politique de Margareth Thatcher, à savoir François Fillon ou de continuer la politique de Hollande et de ceux qui l’ont précédé et qui a échoué, à savoir Emmanuel Macron.
En préambule, il soulignera sa profonde aversion envers le quotidien de révérence, Le Monde, qui, avec son decodex, pratique l’amalgame en mettant à l’index des sites « pourris » et des sites comme celui d’Olivier Berruyer, Les Crises.fr qui n’a comme seul tort, en fait, que de n’être que contestataire et de ne pas être en accord avec la ligne politique du Monde.
5. Après Zyed et Adama... Théo
Chacun se souvient sans doute de cette affaire de des deux jeunes de Clichy-sous-Bois âgés de 15 et 17 ans, Zyed Benna et Bouna Traoré, qui, le 27 octobre 2005, poursuivis par la police, s’étaient réfugiés dans un transformateur électrique et étaient mort électrocutés sans que les policiers n’interviennent pour les sauver alors que l’un d’eux avait, par radio, signalé leur présence sur le site d’EDF. Des émeutes s’en étaient suivies et deux policiers avaient été mis en examen pour « non assistance à personne en danger ». L’affaire trouvera son terme dix ans plus tard au tribunal de Rennes, après moult épisodes judicaires tortueux, par la relaxe des deux policiers. La « banlieue » en tirera une leçon : il n’y a pas de justice dans ce pays…
Promis, juré, craché, suite aux émeutes que cette affaire avait provoquées, on allait améliorer tout cela, retrouver une police soucieuse des droits des individus et il serait mis des freins à ce dont ces jeunes se plaignent quotidiennement : mépris des policiers à leur endroit et contrôles au faciès récurrents et systématiques*.
* C’est le Défenseur des droits, Jacques Toubon, qui rappelle qu’une enquête sociologique menée l’an dernier sur 5000 personnes sur le mode déclaratif montre que les jeunes d'origine africaine ou maghrébine se sont vus contrôlés à 80 % au cours des 5 dernières années quand les autres l’ont été à hauteur de 16 %.
Douze ans plus tard, on remet ça avec l’affaire Théo, Théo Luhaka, un jeune « black » de 22 ans d’Aulnay-sous-Bois favorablement connu qui, suite à un de ces contrôles aussi inutiles que vexatoires, se retrouve pantalon baissé et matraque télescopique enfoncée dans le postérieur ! Les policiers incriminés expliquent que c’est arrivé accidentellement tandis que le jeune Théo, défendu par Me Éric Dupond-Moretti, explique sur son lit d’hôpital qu’il s’agit là rien moins que d’un viol. La juge en charge incrimine l’un des policiers de viol tandis que l’IGPN – la Police des polices autrement appelée les bœufs-carottes – rend un rapport qui va dans le sens des policiers. Et la « banlieue » comprend, qu’une fois de plus, on les prend pour des truffes, que, comme aux États-Unis, la vie des noirs, des arabes, etc. ne vaut rien, que la police peut faire ce que bon lui semble, non seulement humilier quotidiennement mais aussi violer voire tuer. La « banlieue » s’enflamme une fois encore. Des manifestations sont organisées dans les villes concernées mais aussi en province. Celle organisée ce samedi à Bobigny s’est conclue par de véritables émeutes avec force caillassages de bâtiments publics, incendies de voitures, attaque du véhicule technique de RTL, incendies de locaux commerciaux, pillages de supermarchés, etc. Et le spectre de 2005 resurgit…
Nul ne sait à cette heure comment vont évoluer les choses sur le terrain. D’ores et déjà, d’autres manifestations sont convoquées la semaine qui vient et tout laisse à penser qu’elles se termineront systématiquement par ce qu’on a connu hier à Bobigny. François Hollande avait certes tenté d’apaiser les choses en rendant visite à Théo, de fortes paroles avaient été prononcées sur le mode « si les faits sont exacts (le viol), de graves sanctions seront prises » mais le rapport de l’IGPN est venu mettre à bas ce frêle édifice préventif. Relégués dans ce qu’il faut bien reconnaître comme étant de véritables ghettos, la jeunesse « des banlieues », confrontée à un chômage aussi massif que sans espoir ne peut, de surcroît, accepter de vivre durablement sous forte pression policière permanente. Le lien entre population et police semble en ces territoires totalement rompu. Et rien sur le terrain politique, du moins dans ce qui peut leur parvenir, n’a quelque chance de leur apparaître comme une perspective d’avenir. En d’autres termes, cette jeunesse se voit mourir à l’âge où, normalement, on pense que tout est possible ou, du moins, que le champ des possibles est largement ouvert. Cette désespérance est tout à la fois source d’émeutes telles celles de 2005 et d’aujourd’hui mais aussi, il faut bien le dire, générateur d’un terreau fertile du terrorisme qui frappe notre pays. Les « fous de Dieu » ne peuvent espérer mieux. Ils disposent, au sein même de notre pays, d’une masse de jeunes désespérés et relégués. Que, parmi eux et alors que se poursuit sans relâche une politique qui conduit à la situation qu’ils vivent, se trouvent des candidats au djihâd n’étonnera que ceux qui n’ont aucun sens commun. Il ne s’agit évidemment pas de dire ici que les manifestants de Bobigny ou même les émeutiers sont des agents de l’État islamique mais seulement de souligner qu’il n’y a aucune chance que l’on mette fin aux attentats si on ne prive pas les agents recruteurs de cette organisation du terreau sur lequel poussent leurs recrues. Mais, bien évidemment, dans le « court-termisme » et la rigueur budgétaire pour seul horizon, il est plus commode de dénoncer le terrorisme, de prolonger indéfiniment l’État d’urgence, de désigner à la vindicte tous ces jeunes que de faire en sorte qu’ils se voient un avenir possible, de créer des emplois, d’améliorer les conditions de vie de toutes ces populations. Le « plan Marshall » pour les banlieues qui nous est régulièrement vendu est une peau de chagrin. La Hogra a de beaux jours devant elle et notre pays de bien vilains si rien ne change rapidement.
Enfin, comment ne pas s’inquiéter de l’effet que produiront ces émeutes auprès d’électeurs qui, oubliant ce qui les motive, risquent de sombrer dans « le côté obscur de la force », être choqués par ces images de bâtiments publics ou de voitures en feu, ces propos incendiaires de certains. Attendons-nous donc tout à la fois à la médiatisation à outrance de ces images et à la récupération politique la plus infâme. La « blonde » ne va sûrement pas hésiter, elle qui, d’emblée avait affirmé son soutien aux policiers et qui sait trop bien comment bénéficier de tout cela. Si l’on se souvient de la façon dont Jacques Chirac avait, en son temps, su profiter de l’agression d’un vieillard, Paul Voise, il n’est pas impossible que Marine Le Pen donne raison à Patrick Buisson en se montrant là la digne héritière de Jacques Chirac…
@ suivre…
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