À qui le tour ?
Lundi 12 février 2018
Sujets abordés :
- Pierre Joxe, Gérald Darmanin, Nicolas Hulot, à qui le tour ?
- Derrière les 120 000 suppressions de postes dans la Fonction publique
- 295 milliards, pour quoi faire ?
- Épineux maquis Corse
- Villani, au rapport !
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- Pierre Joxe, Gérald Darmanin, Nicolas Hulot, à qui le tour ?
On s’en doutait un peu, on le craignait aussi, dès que l’on met la main dans la délation, rapidement, ça dégénère. Et c’est ce qui se passe avec #BalanceTonPorc, version française de #MeToo. Les médias se repaissent de ces dénonciations, salivent à la moindre annonce et, dans un tel contexte, la place laissée à la « présomption d’innocence » est évidemment nulle. Certes, parmi tous les « porcs » dénoncés, il en est probablement de vrais. Il en va des porcs comme des assassins, beaucoup sont coupables… Mais la justice consiste précisément à lui donner le temps d’enquêter, de se faire, de passer et il va de soi que le temps judicaire n’est pas celui des médias. Le souci est évidemment que, dans toutes ces affaires, on est loin, très loin du flagrant délit puisque se trouvent dénoncés des agissements qui se seraient déroulés en des temps reculés, il y a dix, quinze, vingt ans parfois. Si tant est qu’il y ait eu des témoins, et il ne va pas de soi qu’il y en eût, où sont-ils ? Quels souvenirs gardent-ils de tel ou tel épisode ? Et, s’agissant de ces affaires « de cul », outre la dénégation pure et simple, comment peut-on attendre de quelqu’un qu’il prouve qu’il n’a pas fait telle ou telle chose ? Il est un principe de droit qui veut que la charge de la preuve soit le fait de l’accusation. On voit bien que, dans ces affaires, c’est l’inverse qui prévaut, c’est-à-dire qu’est réputée être vraie la parole de la « victime » et a priori fausse celle de l’accusé.
Si, dans le cas de Pierre Joxe, âgé aujourd’hui de 83 ans, il n’y a guère d’enjeu politique, il en va tout autrement de Gérald Darmanin et Nicolas Hulot. Ministre du Budget pour l’un, de l’Écologie pour l’autre, ministres en vue de l’actuel pouvoir en ce qu’ils constituent des « prises de guerre » de la macronie, se pose inévitablement la question de leur maintien à leur poste. Or, il se trouve qu’Emmanuel Macron a crû habile au tout début de son quinquennat de se débarrasser de deux de ses ministres MoDEM, à savoir François Bayrou et Sylvie Goulard, au seul motif que pesaient sur eux des soupçons de détournement d’indemnité parlementaire européen et, ce, sans même qu’ils fussent « mis en examen », autrement dit sans que la justice ait décidé de donner suite ou pas. Mauvaise idée, très mauvaise idée car, même si les soupçons qui pèsent sur les uns et les autres n’ont rien en commun, on voit mal comment le pouvoir va pouvoir justifier du maintien des uns quand il a décidé du départ des autres.
Il reste que tout ça ne sent pas bon, pas bon du tout. De l’autre côté de l’Atlantique, se mettent en place des interdits professionnels. Ainsi a-t-on vu Ridley Scott faire le choix d’effacer un acteur très célèbre, Kevin Spacey, de son film pourtant terminé et prêt à sortir, All the Money in the World, au seul motif que l’acteur était accusé d’abus sexuels. Et, bien évidemment, dans un tel contexte, n’ont pas manqué de ressortir les accusations de Dylan, la fille de Mia Farrow, à l’endroit de Woody Allen… S’il semble que Woody Allen réussisse, pour le moment, à passer à travers les gouttes, il est clair que Kevin Spacey est désormais blacklisté. Dans la série « personnalités », pèsent aussi des accusations envers Louis C.K., un des rois du stand-up, qui reconnaît qu’il était peut-être « inapproprié » de se masturber devant certaines de ses actrices… On se souvient de la question existentielle posée à l’occasion de l’affaire Clinton, on en trouve ici une variante intéressante…
Tous ces affaires ont une chose en commun : elles ne sont pas jugées. Et on sent bien que s’il n’est évidemment pas question de « laisser passer » tous ces comportements prédateurs qui font vivre un enfer à certaines femmes, il est évidemment très problématique de ne pas donner le temps à la justice d’enquêter, très problématique de lyncher a priori. Se pose alors la délicate question des preuves et du temps passé entre les faits dénoncés et le moment où sont portées les accusations. De ce point de vue, le fait de céder à la doxa ambiante en allongeant le temps de la prescription des « violences sexuelles » de 20 ans à 30 ans, comme l’a annoncé Marlène Schiappa, ci-devant secrétaire d’État à l’égalité des droits entre les femmes et les hommes dans le gouvernement actuel, est évidemment une mauvaise idée. Si l’on peut entendre que le « consentement » n’a pas de sens pour des mineures de moins de 15 ans, on voit mal comment pourraient être jugées des affaires ayant eu lieu trente ans auparavant. C’est d’ailleurs ce qu’avait souligné la responsable du Syndicat de la magistrature, syndicat pourtant connu comme n’étant pas particulièrement réactionnaire et souvent taxé de « gauchiste » (voir ici). Et encore, la secrétaire d’État n’a-t-elle pas consenti à suivre celles des féministes qui voulaient que ces délits fussent imprescriptibles, comme le sont les crimes contre l’Humanité…
Le pire, dans tout cela, est sans doute qu’instruite des excès que l’on connaît de nos jours, il se pourrait que l’opinion changeât et qu’au lieu et place de l’actuel étalage revienne ce qui a prévalu depuis toujours, c’est-à-dire l’impunité pour les prédateurs. Les excès actuels portent ce risque en germe et les femmes et les hommes qui prétendent défendre la cause des femmes seraient bien avisés de ne pas céder à la facilité, de ne pas se réjouir des malheurs de tel ou tel au motif que la politique qu’ils mènent ne leur convient pas. Il n’est pas inutile de rappeler qu’un certain nombre de principes président à la justice et que la délation et le lynchage n’en font pas partie.
- Derrière les 120 000 suppressions de postes dans la Fonction publique
L’annonce a fait du bruit : Édouard Philippe, le premier ministre, a annoncé vendredi dernier qu’il entendait mettre en œuvre la promesse d’Emmanuel Macron de supprimer 120 000 postes de fonctionnaires d’État et de « rénover le statut » de la Fonction publique. Il s’est bien évidemment gardé, comme l’avait fait Jupiter en campagne, de préciser quels seraient les fonctionnaires que l’on mettrait à la porte. Comme si la mesure devenait par ce seul fait acceptable, il a simplement précisé que ce serait dans le cadre de « départs volontaires » et que l’État devrait à l’avenir faire davantage appel à des contractuels.
Bien évidemment, les « crapauds naïfs », les benêts ne manqueront pas d’applaudir. Ne leur dit-on pas en effet que le salaire moyen des fonctionnaires est supérieur à celui des salariés du privé ? Comparaison n’est pas raison puisque chaque fois que cette vilénie est proférée, celui qui la profère oublie toujours de dire que c’est là le seul résultat du fait que l’État compte parmi ses fonctionnaires une majorité de catégorie A, autrement dit de cadres recrutés a minima au niveau Licence, désormais au niveau master, ce qui n’est évidemment pas le cas des salariés du secteur privé.
S’agissant du recours aux contractuels, là aussi, on se garde de bien de dire qu’il se trouve déjà un salarié sur cinq au service de l’État qui est contractuel et que loin d’être la conséquence du fait que l’État recourt à ces personnels du fait du manque de compétences pointues en son sein, c’est pour l’essentiel dû au fait que l’État ne parvient pas à recruter les fonctionnaires qui lui font défaut. Ainsi en va-t-il des concours de recrutements d’enseignants dans l’Éducation nationale dont le niveau minimal est le master et dont on sait qu’après après année ils « ne font pas le plein », loin s’en faut. Il faut bien dire qu’avec 1,2 SMIC à l’embauche, avec un master de mathématiques en poche, ça ne se bouscule pas…
Quant à l’absence de mobilité public-privé dont il conviendrait de se plaindre, on sait trop bien que, s’agissant des hauts fonctionnaires, ils sont légion et que c’est même un problème que de voir certains fonctionnaires aller « pantoufler » au seul motif qu’ayant eu des responsabilités dans tel ou tel ministère, ils disposent de toutes les clés pour « arranger » les affaires de leur nouvel employeur privé.
Autre antienne : le « statut » dont on se plaît toujours à rappeler qu’il daterait de l’immédiat après-guerre, en 1946. Il n’est peut-être pas inutile de rappeler ici qu’au sortir de la guerre, après le régime de Vichy et ce que certains fonctionnaires avaient fait durant cette trouble période, s’est posée la question du cadre d’emploi de ceux qui sont appelés à servir l’État. Beaucoup l’ignorent, mais la CGT, syndicat extrêmement puissant à cette époque, syndicat qui comptait alors plus de cinq millions d’adhérents, était favorable au « contrat » au motif que, vu le rapport de forces entre les salariés et le patronat qui prévalait alors, elle estimait que ce cadre avait toutes chances d’être plus favorable. Le pouvoir d’alors, Maurice Thorez entre autres, décida d’opter pour le « statut », autrement dit de mettre l’ensemble des salariés de l’État à l’écart du droit du travail commun en fixant un ensemble de règles consistant à fixer les droits et les devoirs de ces salariés. Parmi les droits, figure en bonne place « l’emploi à vie » qui fait qu’en dehors d’une faute grave, le fonctionnaire reste un agent de l’État jusqu’à sa mort, c’est-à-dire et y compris lorsque n’est plus en « position d’activité » et touche une pension dans le cadre de sa retraite. C’est ce qui explique, par exemple, qu’il n’existe pas de caisse de retraite des fonctionnaires, l’ensemble des pensions versées faisant partie du budget de l’État voté chaque année par le parlement. Après le régime de Vichy et les dérives auxquelles il a donné lieu, le législateur a souhaité faire en sorte que le fonctionnaire soit d’abord au service de la Nation et a, pour cela, organisé son indépendance. Aussi, distingue-ton le grade de l’emploi. Tout fonctionnaire est titulaire de son grade et l’État s’engage à lui fournir un emploi. Cette « garantie de l’emploi » qui fait tant rager les néo-libéraux qui n’ont de cesse de vouloir la remettre en cause est destinée à faire en sorte que le fonctionnaire soit suffisamment indépendant pour n’être pas au service des intérêts particuliers de tel ou tel mais au seul service de la Nation. Par ailleurs, bien sûr, si le fonctionnaire a des droits, il a aussi des devoirs. Ainsi, en échange de « l’emploi à vie » est-il tenu d’occuper tout poste que l’administration lui demandera d’occuper. C’est ainsi que, chaque année, des milliers d’enseignants se voient confier un poste loin de chez eux, en des lieux où ils n'ont sans doute jamais mis les pieds et qu’ils auraient préféré ne pas avoir à connaître. Ce système a un mérite : Il garantit, pour l’essentiel, aux citoyens du pays un égal accès au service public d’éducation. On notera, en regard, que ce n’est pas le cas s’agissant de la santé et que se sont constitués dans le pays de véritables « déserts médicaux » que la révision de la carte de soins qui se traduit par des fermetures d’hôpitaux ne fait que renforcer.
Depuis plusieurs décennies, les libéraux ont décidé de mettre à mal ce système. Dans leur esprit, hors « services régaliens » – haute Fonction publique, police, armée, justice – nul ne doit échapper au secteur marchand. Le vice-président du MEDEF, Denis Koestler, l’avait avoué en 2007 : « Il s'agit aujourd'hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! » (voir ici). L’offensive que mène aujourd’hui Emmanuel Macron s’inscrit dans ce cadre. Il ne s’agit pas seulement de supprimer 120 000 postes sur la législature, il s’agit de faire sauter le statut. France Telecom a ouvert la voie, La Poste a suivi et le reste, tout le reste, est destiné à suivre, jusques et y compris une partie de la police. Au motif que les policiers n’arrivent plus à faire face aux tâches qui leur incombent, on va confier une partie de ces tâches au secteur privé. Ainsi en ira-t-il des « gardes statiques », autrement dit de confier à des officines privées le soin d’assurer la sécurité d’entrées d’immeubles ou de personnalités. Et qu’importe si la Cour des comptes vient, dans son dernier rapport, d’épingler précisément ces officines en ce qu’elles auraient été gravement défaillantes à l’occasion de la coupe d’Europe de football… Comme toute idéologie, qu’importent les faits, le réel est prié de s’effacer devant ce qu’on veut qu’il soit. De la même façon, on va nous expliquer qu’un tel système est moins onéreux pour le contribuable. Contre toute évidence puisque, alors que l’État ne fait pas de profits dans le cadre de ses activités de service public, il n’en va évidemment pas de même du secteur privé pour qui le profit est la raison d’être. On a ainsi vu récemment ce que coûtaient les « PPP » (Partenariat Public-Privé) et l’usager des autoroutes goûte chaque année davantage le grand bénéfice qu’il y a eu à les privatiser. Bien évidemment, instruit de la cruelle expérience de 1995, le pouvoir a compris qu’il serait dangereux d’y aller franchement. Les fonctionnaires en poste garderont donc leur statut, même si, là aussi, loin de ce que les médias aiment à décrire comme intangible, le statut a, depuis 1946, subit maints aménagements. Le statut de la Fonction publique subira donc d’autres réformes mais l’essentiel consistera à tarir les recrutements qui se font par voie de concours pour recourir à toujours plus de contractuels, corvéables à merci, n’ayant plus de « carrière » et jetables à tout moment. Ainsi pourra-t-on afficher de trompeuses économies et mettre fin à « l’exception française » qui fait que le pays apparaît comme l’un des derniers à recourir aussi massivement à des emplois publics. Bien évidemment, dans toutes ces comparaisons internationales, il est soigneusement omis de dire qu’on se garde bien de comparer ce qui peut l’être. Car s’il est vrai que, pour l’essentiel, l’école est publique dans ce pays, d’autres pays ont fait le choix de livrer l’ensemble de leur système de formation au secteur privé, ce qui est extrêmement coûteux pour ses usagers. De la même façon, si l’on regarde les systèmes de retraites ou de santé, là aussi, ces États soi-disant « économes des deniers publics » ont la particularité d’avoir externalisé ces coûts avec, là aussi, des coûts prohibitifs pour la population. Les États-Unis en fournissent l’un des meilleurs exemples avec un système de santé et d’éducation qui atteint des records de « reste à charge » pour ses citoyens et un système de retraite par capitalisation qui a fait faillite en 2008. Quant à l’éducation, là aussi, le résultat est connu : une inculture massive et une population dans laquelle seuls les plus aisés parviennent à faire face à des frais de scolarité prohibitifs, en particulier en ce qui concerne les études supérieures pour lesquels les jeunes doivent s’endetter, au risque de ne jamais pouvoir rembourser et avec un risque systémique qui inquiète même les plus optimistes.
Le comble, dans toute cette affaire, c’est qu’alors que tous ces faits sont connus, nos gouvernants n’ont qu’une idée en tête : appliquer au pays les recettes libérales des Reagan et Thatcher des années 80 dont on sait que partout elles ont échoué. Ce qui nous est servi n’est en fait rien d’autre que la « main invisible » d’Adam Smith (1776) mâtinée de « théorie du ruissellement » (1896) qui prétend que la richesse des puissants aurait vocation à se répandre jusqu’en bas de la société via leur consommation et leurs investissements. Le lecteur qui douterait pourra se reporter au rapport produit fin décembre 2017 par une centaine d’économistes, rapport qui porte sur la période 1980-2016 et qui met en évidence que sur cette période, pour chaque tranche de 100 € supplémentaires produits depuis 1980, les 1 % les plus riches se sont octroyés 27 €, tandis que les 50 % du bas (qui, eux, ont travaillé pour produire cette richesse supplémentaire) n’ont eu droit qu’à 12 € en moyenne (certains n’ayant rien eu du tout).
En outre, les 1 % les plus riches possèdent 33 % du patrimoine dans le monde aujourd’hui, contre 28 % en 1980 et accaparent 20 % des revenus dans le monde aujourd’hui, contre 16 % en 1980. Ce rapport n’est en outre pas sans intérêt s’agissant de la façon dont se distribue cette augmentation des inégalités. Les 10 % les plus riches en Europe de l’Ouest concentrent 37 % des revenus en 2016. Les 10 % les plus riches concentrent 47 % des revenus en Amérique du Nord et 61 % au Moyen-Orient.
Enfin, et s’agissant de notre pays, il n’est pas sans intérêt de savoir que le revenu moyen des 1 % les plus riches a progressé de 98 % en vingt ans, ces 1 % les plus riches possédaient 23 % du patrimoine total des ménages en 2013 contre 16 % en 1982. Les mauvaises langues ne manqueront pas de noter que c’est en 1983 que la « gauche », arrivée au pouvoir en 1981, a pris « le tournant de la rigueur », tournant que la droite et la gauche qui ont succédé n’ont fait que poursuivre avec méthode et constance. De ce point de vue, Emmanuel Macron ne fait donc qu’inscrire ses pas dans ceux qui l’ont précédé et ainsi poursuivre l’œuvre engagée. L’espoir de ceux qui l’ont porté au pouvoir est, qu’affaibli par tant d’années d’échecs, le « mouvement social » sera dans l’incapacité de résister. Reconnaissons-le, les faits leur donnent pour le moment raison. C’est bien ce qu’on a constaté lors de la réforme du code du travail et du budget 2018 adopté en fin d’année 2017 avec la faible mobilisation à laquelle cela a donné lieu. La réforme de la Fonction publique qui se profile est donc dans le droit fil de ce qui précède et les résultats à en attendre seront ceux enregistrés ailleurs. Ces gens-là ont un insatiable appétit. Leur seule limite sera celle de la force qui leur sera opposée. Pour le moment, hélas, rien n’indique que cette opposition se manifeste significativement. Le risque est gros de voir, en outre, et à cette occasion, les salariés du privé se désintéresser du sort de ceux du public. Une fois de plus, les médias mainstream sauront exacerber cette division. De la même façon que de nombreux fonctionnaires se sont désintéressés de la réforme du code du travail au motif qu’elle ne les concernait pas, il faut s’attendre à ce que les salariés du secteur privé ne fassent la même chose à l’endroit des fonctionnaires et de la réforme de leur statut. Les organisations syndicales qui organisent les uns et les autres, les confédérations, auront bien du mal à faire le lien. Elles sont certes plus puissantes et mieux organisées dans le secteur public mais ce sont pour l’essentiel des « colosses aux pieds d’argile » divisés et de moins en moins capables de mobiliser efficacement au-delà du cercle le plus militant. Il est donc à craindre, qu’une fois encore, et en dépit de la mauvaise opinion qu’aurait la population de cette réforme, rien de tangible ne vienne s’y opposer. Réponse en fin d’année 2018…
- 295 milliards, pour quoi faire ?
Nos armées vont mal, on le sait depuis longtemps. En cause, la baisse tant des effectifs que des budgets militaires depuis plus de vingt ans tandis qu’il leur était demandé de multiplier des OPEX (OPérations EXtérieures). La « grande muette » l’était donc de moins en moins. L’acmé a été atteint cet été quand Emmanuel Macron a décidé de se séparer du chef d’État-major des armées, Pierre de Villiers, qui avait eu le mauvais goût de faire part de son désaccord avec l’annulation de 850 millions de crédits.
Tous les rapports font état d’un délabrement général des matériels. Quiconque s’est un moment promené en rade de Toulon saura de quoi il est question… On sait en outre que les pilotes ont un nombre trop réduit d’entraînements pour être efficaces. Quant à l’armée de Terre, ceux de ses soldats qui sont envoyés « sur les terrains d’opération » doivent faire avec un matériel « fatigué », susceptible de tomber en panne à tout moment, des gilets de protection qui ne protègent plus guère, un fusil mitrailleur dépassé, etc. S’ajoute à cela, lorsqu’ils rentrent au pays, le merveilleux « plan sentinelle » qui les transforme en arpenteurs de trottoirs et les transforme en cibles potentielles pour une efficacité quasi nulle en dehors du fait qu’ils sont censés rassurer la population. Ils n’avaient pas signé pour ça, certains le disent et la hiérarchie le sait… Cerise sur le gâteau, le ministère a été dans l’incapacité de leur verser correctement leur solde avec un logiciel de paye défaillant aujourd’hui en voie d’abandon.
Bref, notre armée est en piteux état et son moral est en berne. Après le psychodrame de l’été dernier, Emmanuel Macron a compris qu’il n’était sans doute pas très habile de rester fâché avec l’armée dont il est censé être le chef. Les entreprises de séduction se sont donc succédées et s’il n’est toujours pas question de faire rentrer les soldats patrouilleurs de rues dans leurs casernes où ils ont mieux à faire, s’entraîner par exemple, sous l’impulsion de l’Oncle Sam à qui, quoi qu’on en dise, on ne saurait trop opposer de refus, il a été décidé de faire une « loi de programmation militaire » présentée jeudi dernier en conseil des ministres. Cette loi de programmation est un marronnier. Aucune de celles qui l’ont précédée n’a jamais été remplie mais qu’importe : elle est d’abord l’affichage des ambitions que le pouvoir se donne en matière militaire. Celle-ci couvrira la période 2019-2025, débordant donc du cadre du quinquennat de Jupiter, et prévoit de dépenser rien moins que 295 milliards permettant de recruter 6 000 soldats, de moderniser les armements (gilets de protection, FM remplaçant le vieillissant FAMAS, etc.), de renforcer la dissuasion nucléaire avec un nouveau SNLE (Sous-marin Nucléaire Lanceur d’Engins) et, last but not least, de doter le pays d’un second porte-avions nucléaire destiné à éviter que le pays n’en soit privé la moitié de l’année comme c’est le cas avec le vieillissant et en fin de vie Charles de Gaulle. Et, par le plus merveilleux des hasards, le pays consacrerait ainsi 2 % de son PIB à sa défense en 2025, comme l’a demandé l’Oncle Sam qui, lui, vient de décider 300 milliards de dollars de plus en deux ans…
Dès lors que le pays ne s’oriente pas vers une neutralité de type Suisse ou Norvégienne, autrement dit dès lors qu’il se dote d’une armée qui ne soit pas de pure façade, d’opérette, ce qui a été dit plus haut suggère qu’il se dote des moyens pour cela. L’inquiétant n’est donc pas tant que soient faites des dépenses permettant à nos soldats de ne pas être envoyés au casse-pipe comme c’est le cas actuellement au Mali ou ailleurs, qu’ils disposent de bateaux ou d’avions en état de marche, autrement dit en capacité de répondre aux attentes. Ce qui pose souci dans toute cette affaire est évidemment au service de quelle politique ces moyens vont être mis. Et, de ce point de vue, c’est bien là un sérieux problème. La dépendance dans laquelle nous sommes à l’égard des États-Unis via notre intégration à l’OTAN dans lequel nous servons de troupes supplétives est un risque majeur. Nous avons déjà vu par le passé comment nos soldats se sont retrouvés engagés en Afghanistan et combien il a été difficile de les désengager. Nos opérations en Afrique de l’Ouest mobilisent, en pure perte ou presque, des moyens insuffisants au regard du terrain à couvrir et de la nature de l’ennemi que nous y affrontons. Que ferons-nous quand, dans le seul souci de défendre ses intérêts, l’Oncle Sam nous demandera de nous joindre à lui dans une guerre contre la Russie qui a déjà en partie commencé, que ferons-nous lorsqu’il décrétera que son ennemi principal est la Chine qui, comme on le sait, n’est plus exactement un pays de seconde zone ? C’est à ces questions qu’il convient de répondre. Comme de plus, et de plus en plus, nous sommes dépendants des USA, l’indépendance du pays chère à un de Gaulle est de moins en moins possible. On peut, par exemple, s’inquiéter légitimement de ce que notre armée dispose d’une informatique entièrement dans les mains de Micro$oft et autres géants US du numérique. Quand on connaît les liens qui unissent ces géants à la NSA, était-ce là une très bonne idée de céder à de telles facilités ?
Enfin, dans une période où les français sont priés de se serrer la ceinture, du moins la grande majorité d’entre eux, ceux et celles qui ne sont pas dans les 10 % les plus riches (voir plus haut), il va être compliqué pour le pouvoir d’expliquer que l’on coupe dans les budgets de la santé, des écoles et des universités quand on consent, dans le même temps, à programmer 295 milliards de dépenses militaires pour faire face à un ennemi que l’on ne nomme pas. Cette question ne va pas manquer de se présenter chaque fois que sera annoncée une coupe nouvelle. Cadeaux aux patrons et dépenses militaires accrues font mauvais ménage avec rigueur dans les services sociaux. Voilà un « en même temps » qui ne manquera pas de questionner…
Petite note humoristique pour conclure avec ce grand moment de « langue de bois », de refus de répondre à la question posée ou de tentative de botter en touche. C’est notre ministre de le Défense, Florence Parly, qui en est l’auteure. Interrogée sur le fait que les armes que nous vendons à l’Arabie Saoudite soient utilisées contre les populations civiles du Yémen par ce pays, elle a doctement expliqué que les armes que nous vendions à ce pays étaient destinées à ne pas servir. Il fallait oser. Elle a osé. Comme dirait Audiard : « c’est même à ça qu’on les reconnaît »…
- Épineux maquis Corse
Fort de leur victoire aux dernières élections locales qui leur a donné la majorité absolue des sièges dans l’assemblée unique, les « autonomistes » Corses se pensaient en position de force pour avancer leurs pions. Se sentant poussés par un vent de sécession de certaines provinces en Europe telles l’Écosse, la Catalogne, le nord de l’Italie ou les Flandres, Edmond Simeoni, autonomiste dirigeant l’exécutif Corse, et son compère Jean-Guy Talamoni, président de la nouvelle assemblée unique, avaient donc entrepris de prendre langue avec le pouvoir central dès décembre en « montant à Paris ». Pour rien ! Á peine furent-ils reçus par quelque sous-fifre ministériel… En foi de quoi, ils appelèrent les Corses à manifester massivement à Ajaccio en ce début de mois, à la veille de l’arrivée sur l’île d’Emmanuel Macron venu là commémorer les 25 ans de l’assassinat du préfet Érignac. La guerre des chiffres a évidemment fait, une fois encore, rage. Pendant que la préfecture dénombrait 5 à 6 000 personnes dans les rues de la ville, les organisateurs aimaient à en voir 22 à 25 000…
On se gardera bien ici d’avoir un avis quelconque sur ces chiffres. Pour qui connaît la ville d’Ajaccio, y faire défiler 25 000 personnes relève d’un exploit tant cette ville a si peu l’air d’une ville telle qu’on l’entend « sur le continent »… Mais passons… L’important est évidemment dans le fait que cette manifestation n’a pas été à la hauteur des espérances des organisateurs et qu’en particulier elle était très loin d’être aussi massive que celle qui suivit l’assassinat du préfet Claude Érignac en 1998 tant à Bastia qu’à Ajaccio qui avaient alors réuni près de 40 000 personnes.
Manifestation « autonomistes » février 2018
Manifestations Ajaccio et Bastia février 1998
Ni le pouvoir, ni les autonomistes ne s’abusent des chiffres annoncés. Les « services » leur livrent des chiffres fiables qu’ensuite ils gonflent ou font maigrir selon les besoins de la propagande. Fort de cet insuccès, Emmanuel Macron a donc décidé de jouer la fermeté en refusant sur l’essentiel des revendications : « co-officialité » de la langue Corse, c’est non ; délégation accrue des pouvoirs à l’assemblée unique, c’est non ; octroi du statut de résident, c’est non ; etc. Tout juste leur concèdera-t-on le « rapatriement » en catimini de quelques « prisonniers », hors les plus emblématiques tel Yvan Colonna, l’assassin du préfet Érignac et, à l’occasion de la révision constitutionnelle en préparation, pourra-t-il être accepté de mentionner explicitement la Corse. Il n’a pas été précisé si cette mention devait se faire dans le cadre de l’article 72 ou celui de l’article 74. Jupiter demande aux autonomistes de lui faire des propositions…
Cette proposition fait d’ores-et-déjà débat. Manuel Valls qui tente ainsi de survivre, s’est déjà demandé publiquement pourquoi il devrait être fait mention de la Corse dans le texte de la Constitution. Jean-Luc Mélenchon s’est dit favorable à cette mention dans le cadre de l’article 74 qui concerne l’Outre-Mer mais opposé à cette même mention soit dans le cadre de l’article 72 (voir ici). C’est en effet dans ce cadre que s’inscrit la Nouvelle-Calédonie qui peut, d’ores et déjà et sur à peu près tout, en dehors de la défense et de la diplomatie, légiférer, autrement dit se doter de « lois pays » qui font que ce territoire n’est déjà plus, pour l’essentiel, dans la République. Nous verrons, le moment venu, ce que choisira Emmanuel Macron. La mention dans le cadre de l’article 74 « ne mange pas de pain ». Elle est essentiellement symbolique. Celle dans le cadre de l’article 72 est d’une toute autre nature et conduirait, par exemple, à ce que s’applique une « préférence régionale » que ne dénierait pas le Front national dans notre pays. Elle pourrait conduire à ce que, comme en Nouvelle-Calédonie, existât une « sécurité sociale pays », des « retraites pays », etc. Le lecteur serait donc bien inspiré de s’attacher à ce genre de « détails ». Selon la formule célèbre, le diable s’y niche souvent…
Pour mémoire :
CONSTITUTION
Titre XII - Des collectivités territoriales
Article 72
Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74.
Article 73
Dans les départements et les régions d’outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités.
Article 74
Les collectivités d’outre-mer régies par le présent article ont un statut qui tient compte des intérêts propres de chacune d’elles au sein de la République.
- Villani, au rapport !
Le très médiatique mathématicien, médaille Fields et directeur du très renommé Institut Henri Poincaré, Cédric Villani, accessoirement député LREM de l’Essonne, fait en ce lundi 12 février la une des médias au travers de la présentation d’un rapport concocté avec un inspecteur général de l’Éducation nationale, Charles Torossian, lui-même chercheur en Mathématiques. C’est sans grande surprise pour l’auteur de ces lignes que ce rapport situe la source de la baisse inquiétante et continue du niveau des élèves en Mathématiques dans la faiblesse des enseignants du primaire dans cette discipline. « Une des conclusions de notre rapport (...), c'est de réaliser à quel point l'encadrement humain est déficient en la matière. Très peu des enseignants des écoles se sentent à l'aise avec les mathématiques et c'est normal au vu de leur parcours et de leur formation (…), beaucoup d'enseignants étant issus de filières littéraires ». Nous avions déjà dans ces colonnes souligné à quel point il pouvait être problématique de recruter des « professeurs des écoles » ayant cessé de faire quelque mathématiques que ce soit dès la fin de la classe de seconde, étant entendu que, sachant à l’entrée de cette classe qu’ils poursuivraient leur cursus en filière littéraire, ils avaient déjà abandonné dès le mois de septembre… En d’autres termes, c’est avec un très très maigre niveau de classe de troisième que tous ces enseignants sont arrivés et encore peut-on penser qu’ils n’excellaient pas dans cette discipline tout au long du collège.
Ceux qui ont quelque mémoire se souviendront sans doute que ce n’est pas la première fois que l’institution s’interroge sur la formation de ses enseignants dans cette discipline. Déjà, lorsqu’il avait été décidé de transformer des instituteurs en professeurs de collège, Laurent Schwartz, lui-même mathématicien de renom et médaille Fields, avait publié un rapport assassin sur le niveau de ces professeurs, les célèbres PEGC…
L’ennui, et c’est ce que pointe le rapport Villani-Torossian, c’est que depuis, on n’a cessé d’en rabattre sur le niveau des exigences sans pour autant réussir à faire que les élèves réussissent et parviennent à résoudre des problèmes simples, y compris relevant de la vie quotidienne telle l’incapacité à user correctement de la proportionnalité. Le résultat des abandons successifs que sanctionnent les programmes est que nos élèves sont à la fois ignorants de la théorie mais parfaitement incapables de conduire le moindre calcul et, ce, y compris chez ceux qui ont suivi un cursus prétendument scientifique telle la série S. Il y a donc « le feu à la maison » et même si l’école mathématique française qui intéresse le monde des mathématiciens reste de très bon niveau, ce qui est un désastre, c’est la faiblesse de l’immense majorité de la population. Les comparaisons internationales, pour critiquables qu’elles puissent être, confèrent à notre pays la lanterne rouge des pays européens et une des dernières places parmi les pays « développés » pendant que, dans le même temps, Singapour, Hong Kong, la Corée du Sud, Taïwan et le Japon occupent la tête du classement. Nos « décideurs » ont donc bien reçu le message et les dangers qu’ils signifient pour l’avenir du pays. On peut toujours afficher vouloir faire de nos élèves des « codeurs », on sait bien que cela ne sera jamais possible avec des élèves ayant de tels handicaps.
Parmi les pays qui réussissent, Singapour semble tenir la corde. Quant aux pays qui, situés comme nous dans le bas du classement, ont su corriger le tir, tel l’Allemagne, il y aurait là aussi des voies à suivre. Et, bien sûr, l’une de ces voies est de cesser de recruter des masters de psycho pour enseigner « nos chères têtes blondes ». Si, donc, comme le propose le rapport, on va tendre à renforcer le niveau de mathématiques au niveau du recrutement des professeurs des écoles, il va falloir « gérer le stock », c’est-à-dire faire un formidable effort de mise à niveau des professeurs du 1er degré actuellement en poste. Autant dire que ça ne va pas se faire en un jour… La formation continue des enseignants est la dernière roue du carrosse. Peu de moyens lui sont consacrés et ces formations, lorsqu’elles existent, sont de piètre qualité. Souvent tournées vers « la psychologie de l’enfant », elles ne sont nullement tournées vers des compléments de formation initiale. Le rapport préconise, de ce point de vue, que l’on amène ces enseignants à un niveau L1 de filière scientifique. Louable objectif, mais avec des enseignants qui peinent à maîtriser le simple calcul mental, le sens des opérations élémentaires et savent rarement énoncer et utiliser correctement le théorème de Pythagore, on mesure là toute l’ampleur de la tâche…
S’agissant de ce qui se passe dans la classe, le rapport préconise qu’il y soit fait cours. Le lecteur naïf ou peu au fait des dernières modes pédagogiques peut légitimement se demander comment on peut arriver à une telle évidence. C’est que, en mathématiques comme en grammaire et tant d’autres domaines, il a été vanté les mérites de ce que l’on pourrait appeler la « pédagogie de M. Jourdain », celui dont on sait qu’il faisait de la prose sans le savoir. Eh bien, de nos jours, il semble bien que l’on soit dans le même registre. Le « cours » a cédé le pas à « l’activité », sans queue ni tête, au cours de laquelle on peut percevoir ici et là quelques « notions » qui jamais ne seront mise en exergue et, tout ceci, sans fil directeur, sans construction pensée. Défaite de la pensée et échec massif quant aux résultats. Des cohortes entières d’élèves que l’on a occupés dans le seul souci de ne pas les « traumatiser », de ne pas les amener à penser, à organiser leur pensée. Les rapporteurs sont bien conscients qu’il y a loin de la coupe aux lèvres. Ils font donc 21 propositions mesurées, d’ambition modeste, visant à arrêter la dégringolade. Mais chacun l’aura compris, une politique éducative, des façons d’enseigner ne produisent pas de fruits immédiats. Il est donc à craindre que le « mammouth », selon une habitude bien rôdée, fasse le dos rond, que l’institution se contente d’afficher des indicateurs en hausse sans rapport avec la réalité. Elle excelle en ce domaine comme le soulignent chaque année les résultats du Baccalauréat. Le Gosplan occupe la rue de Grenelle. Rendez-vous est donc donné à de futures évaluations internationales pour constater qu’hélas rien n’aura changé, ou si peu…
@ suivre…
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