BelcoBlogLM

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Quand l’extrémisme est au centre…

Jeudi 7 février 2019

 

Reprise avec le “chapitrage” du post, histoire de mettre un peu d’ordre…

 

  1. Du côté de la rue…
  2. Loi « anti-casseurs », l’extrême-centre en acte
  3. Grand débat et sortie de crise : vers un référendum pour les européennes ?
  4. Venezuela : le coup d’État de Trump et ses alliés

 

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  1. Du côté de la rue…

L’acte XII, autrement dit les maintenant traditionnelles manifestations des Gilets jaunes le samedi a été conforme à ce qu’on pouvait en attendre. Comme prévu, le Conseil d’État, guidé par la « raison d’État », a rendu un arrêt permettant aux forces dites de l’ordre de conserver leurs armes « à létalité réduite », autrement dit les Flash-ball (LBD-40) et autres grenades de désencerclement (GLI F4). C’est ce qu’on appelle un jugement « de circonstance » puisqu’en réalité le CE était confronté à la contradiction qu’il y aurait à priver les forces de répression des moyens matériels permettant la mise en œuvre de la stratégie choisie par ses dirigeants. Et tant pis si cela se paie par des mains arrachées et des manifestants défigurés, estropiés, etc.

 

Les Gilets jaunes avaient choisi en ce samedi 2 février de défiler en mettant en avant toutes les « gueules cassées » du mouvement, dont le plus célèbre d’entre eux, Jérôme Rodrigues. Après Bourges le samedi précédent, ce fut Valence qui fut le point de convergence privilégié. Saisi par la trouille, le maire de la ville décida donc d’en faire une « ville morte » avec fermeture des magasins, mise à l’abri d’une bonne partie de son mobilier urbain, etc. Bien évidemment, aux abords de la ville, tout fut fait pour empêcher les Gilets jaunes d’y parvenir : barrages routiers, contrôles d’identité, rétention, etc. en parfaite infraction avec la loi, comme d’habitude, puisque d’une part la manifestation, son parcours, etc. avaient été déposés en préfecture et que, par ailleurs, notre belle démocratie s’enorgueillit de respecter la liberté de circulation et de manifestation. La routine, quoi…

 

Acte XII à Valence (Le Dauphiné Libéré)

 

Au rayon « routine », les médias choisirent de répondre aux accusations de complaisance avec les GJ (!) par une relative indifférence aux manifestations de cet acte XII, une sorte de concrétisation de l’essoufflement du mouvement si souvent annoncé. Bien évidemment, tout fut fait pour que la « nuit jaune » prévue Place de la République à Paris ne puisse se tenir. Où l’on voit que le pouvoir peut admettre des « nuits debout » quand elles réunissent les Bac+5 et ne pas y consentir avec les « gueux »… Quoique cette action-là fut aussi déclarée en préfecture, on vit donc les CRS, les Gendarmes mobiles et les « voyous » de la BAC charger, gazer, etc. sans que les observateurs les moins bien intentionnés ne comprennent les raisons de ces charges. Alors, bien sûr, et c’est là l’effet recherché, quand on le gaze et qu’on le matraque, le Gilet jaune fut-il pacifique a tendance à ne pas se laisser faire. Charges, contre-charges, le lot habituel des violences qui font les délices du pouvoir…

 

Acte XII Place de la République à Paris

 

S’agissant du 5 février dans lequel nombreux sont ceux qui plaçaient leurs espoirs, autrement dit de la « grève générale » initiée par la CGT, FSU et Solidaires rejointe par des figures emblématiques des Gilets jaunes (Éric Drouet, François Boulo, Maxime Nicolle alias Flyrider, Priscillia Ludosky), des figures politiques comme Jean-Luc Mélenchon, ce fut une journée « intéressante » en ce qu’elle montra, pour la première fois, un rassemblement « gilets rouges » « gilets jaunes » unis dans un combat commun, la hausse du pouvoir d’achat, la lutte contre les inégalités, etc. Rares furent les endroits où les gilets ne se mélangèrent pas.

 

Arrivée de la manifestation du 5 février Porte d’Aix à Marseille

 

Pour autant, si la CGT communiqua un probablement généreux chiffre de 300 000 manifestants ce jour-là, une chose est sure, ce ne fut pas une « grève générale » puisque, dans les faits, rares furent les débrayages enregistrés. Les secteurs « stratégiques » telle la SNCF, la RATP à Paris, les ports, etc. furent à peine touchés de sorte qu’au soir de cette journée, le pouvoir put souffler et faire comme si rien ne s’était passé. On notera au passage que Le Monde, le « journal de révérence », ne souffle mot de cette journée dans son édition du 7 février…

 

Cet échec, car c’est bien d’échec dont il faut ici parler, est significatif d’un vrai problème. Le mouvement syndical dit « de lutte », « de transformation sociale », est à la peine. Même si cela ne surprend guère, il n’est pas sans intérêt de voir que la CFDT, réputée être la première organisation syndicale du secteur privé, put se permettre de prendre prétexte de l’appel d’Éric Drouet pour ne pas appeler à se joindre aux manifestations de ce 5 février. On peut penser ce que l’on veut des « réformistes » façon Laurent Berger, ils savent prendre le train en marche quand la nécessité se fait pressante. Manifestement, ce ne fut pas le cas ce jour-là. L’analyse sociologique du mouvement des Gilets jaunes montre que nombreux sont ceux qui, dans ce mouvement, travaillent dans des « petites boîtes » de province, dans ces TPE-PME dans lesquels le patron n’a rien à voir avec ceux du CAC40, dans lesquelles il ne peut être question d’arrêter le travail sans risquer de mettre en péril le devenir de l’entreprise dans des régions où l’emploi est d’une cruelle rareté. Si l’on y ajoute les fins de mois très difficiles, les crédits divers à payer, la bagnole qui « coûte un pognon de dingue », l’absence d’organisations syndicales, tout laisse à penser que l’on peut être Gilet jaune et ne pouvoir faire autre chose que manifester le samedi parce ça ne coûte rien. Quant aux secteurs plus organisés de la « classe ouvrière », ils ont beaucoup donné durant les années passées et sans succès aucun. De sorte qu’ici aussi s’est installé la conscience que la grève est devenu un moyen de lutte aussi inutile que coûteux. Les défaites successives enregistrées depuis plus de vingt ans ont marqué les esprits. On n’en pense certes pas moins, mais de là à se lancer dans une « grève générale reconductible », il y a là un pas qu’au moins pour le moment peu nombreux sont ceux prêts à le franchir.

Cette incapacité à mobiliser des organisations syndicales est évidemment le fait tout à la fois de leur faiblesse organisationnelle, leur faible nombre d’adhérents, leur disparition de pans entiers du salariat en étant le signe le plus sûr. Y compris dans des secteurs où leur présence est encore significative tel l’enseignement ou, plus généralement, le secteur public, leurs appels à la grève n’ont quasiment plus d’impact.

 

Le « mouvement social » est manifestement à la peine et le fait que nombre de Gilets jaunes mettent dans le même sac responsables politiques et syndicaux n’aide pas à la « convergence des luttes ». Reconnaissons du même coup que, du côté des organisations syndicales comme la CGT, la méfiance manifestée par Laurent Martinez lui-même envers les Gilets jaunes est partagée par de nombreux militants en ce que ce mouvement, outre qu’il a été soupçonné d’être d’inspiration fasciste, remet en cause toutes les bases sur lesquelles ces organisations ont fonctionné durant des lustres. Se voir touchés par le « dégagisme » des Gilets jaunes est évidemment perçu par ces « résistants » de toujours comme extrêmement suspect et injuste.

 

Dans ce contexte, si le 5 février n’a pas répondu aux attentes et aux nécessités de l’heure aboutissant à faire plier le pouvoir, il marque toutefois un pas dans la bonne direction en ce que, pour la première fois sans doute, il y a eu un mélange, un partage des revendications et, sans doute, une reconnaissance mutuelle, fut-elle partielle, d’une communauté d’objectifs, de combats. Bien évidemment, pour positive que soit cette jonction, elle est sans doute bien tardive et il ne va de soi qu’elle s’accélère, que « la mayonnaise prenne » à temps. En foi de quoi, et comme nous le craignions, la stratégie de pourrissement d’Emmanuel Macron aura réussi…

 

  1. Loi « anti-casseurs », l’extrême-centre en acte

« En même temps », du côté de la macronie, on s’active à répondre à l’outrage de la rue. Prenant prétexte des « violences » des différentes manifestations des Gilets jaunes, dont celles de la Place de l’Étoile dans lequel un « symbole de la République », l’Arc-de-Triomphe (symbole de l’Empire napoléonien, faut-il le rappeler) aurait été attaqué, le pouvoir a décidé de faire voter une loi « anti-casseurs » que bien des états « illibéraux » nous envient. Si l’on peut penser qu’il est dans l’ordre des rôles assignés à chacun de voir les députés de la France insoumise s’opposer à cette loi, il n’est pas sans intérêt d’entendre un député aussi peu radical que Charles de Courson, « modéré » notoire, s’exprimer sur cette loi de circonstance, la qualifiant de « pure folie », de « monstre juridique », pointant la « présomption de culpabilité », faisant référence au « régime de Vichy ». Charles de Courson, député UDI de la Marne, fils et petit-fils de résistant, n’est en rien un extrémiste. Il est de ce centre de la vie politique française dont François Bayrou est une autre figure. Des gens « de bien », n’ayant jamais connu les fins de mois difficiles, mais qui ont au cœur de leur engagement politique une certaine idée de la démocratie, de ce qui se fait et, surtout de ce qui ne se fait pas. Qu’un tel personnage emploie des mots aussi durs à l’endroit de cette loi est le signe le plus sûr d’une dérive du pouvoir, d’une dérive inquiétante.

 

L’intervention de Charles de Courson le 30 janvier 2019 est ici

 

L’article 2 de cette loi autorise en effet les préfets à interdire de manifester « par arrêté motivé » toute personne « à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l'ordre public ». Rappelons au lecteur que le préfet est le bras armé du gouvernement dans un territoire (département, région) et qu’il n’est évidemment en rien une « autorité judiciaire », en rien indépendant du pouvoir en place. C’est donc ce « bras armé » qui, par cette loi, se voit autorisé à interdire de circuler et de manifester – qui sont du registre des droits constitutionnels de tout citoyen – au motif de « raisons sérieuses » qui ne relèvent nullement d’une éventuelle condamnation prononcée précédemment à l’endroit de la personne visée. C’est, en d’autres termes, une « loi des suspects » de sinistre mémoire dont l’application est confiée à un fidèle agent du pouvoir qu’est le préfet. On peut imaginer que suite à l’application de la loi, un « suspect » pourra faire un « référé liberté » auprès du juge administratif mais on peut aussi imaginer que ce dernier étant dans ce cadre contraint de statuer dans les 48 h, son jugement, même favorable au requérant, arrivera trop tard… sans que le préfet à l’origine de la mesure liberticide n’ait en quoi que ce soit à en souffrir.

 

Dans la série des réactions à cette loi liberticide, nul ne sera surpris de voir la France insoumise, le PCF, la Ligue des Droits de l’Homme, etc. dénoncer cette loi pour ce qu’elle est. Ceux qui soupçonnaient le RN de soutien à cette loi en seront pour leurs frais puisque sa blonde présidente, qui ne se refuse aucune outrance, l’a qualifiée de « loi fasciste ». On notera qu’il s’est trouvé une cinquantaine de députés LREM pour s’abstenir lors du vote de la loi ce mardi 5 février. Abstention, le courage a des limites. Un seul député a choisi, suite à cette loi, de quitter le groupe... pour des raisons « écologiques ». Enfin, histoire de rire un peu, on notera la réaction d’une des « dindes » de la macronie, l’ineffable Aurore Bergé, qui s’est réjouie sur Twitter de ce que cette loi va permettre à ceux qui veulent faire les soldes le samedi de le faire sans danger. Le concours de dindes continue et Aurore Berger est au coude-à-coude avec Marlène Schiappa… Les féministes ne manqueront pas de souligner ici que côté « dindons », le concours n’est pas moins passionnant.

 

Et puis, autre fait d’armes de la macronie, on a le retour de l’affaire Benalla. Précisons : Mediapart a diffusé des enregistrements du couple Benalla/Crase dans lesquels on entend les deux compères converser le 26 juillet 2018, Benalla se félicitant de l’appui « du patron », Emmanuel Macron. « Tu vas les bouffer ! T’es plus fort qu’eux, c’est pour ça que je t’avais auprès de moi » aurait dit ce dernier. Et, donc, outre que ce soutien de Jupiter au nervi Benalla pose des questions sur lesquelles il convient de revenir, c’est là la preuve qu’Alexandre Benalla s’est affranchit allègrement du contrôle judiciaire dont il faisait l’objet et, en particulier, de l’interdiction qui lui avait été faite de contacter toute personne en lien avec l’affaire, Vincent Crase étant la première d’entre elles. S’ajoute au dossier de la rue de la Contrescarpe, l’agression musclée opérée sur des clients d’un bar, une sombre affaire de contrat avec un oligarque russe qu’on dit proche de Vladimir Poutine à travers une société de sécurité, Mars (Mars, Jupiter…). Suite à la diffusion de ces enregistrements (à entendre ici), on aurait pu s’attendre à ce qu’Alexandre Benalla, pris en flagrant délit de parjure devant la commission d’enquête parlementaire du Sénat, fut inquiété et, pour les besoins de l’enquête, interpellé et mis au frais. Au lieu de quoi, on apprend que le nouveau procureur de Paris nommé par Emmanuel Macron n’a rien trouvé de mieux que de se saisir de cette affaire d’enregistrement « pour atteinte à la vie privée » pour diligenter une perquisition dont l’effet eut été de trouver la source des enregistrements, autrement dit de porter atteinte à la confidentialité des sources des journalistes. Refus de la direction de Mediapart, conférence de presse d’Edwy Plenel, Patrice Arfi et leurs avocats, soutiens de la profession, d’hommes politiques, etc. On en est là, Mediapart a accédé à la demande du procureur de lui livrer les enregistrements et, évidemment, refusé de lui dévoiler ses sources… Il est tout de même assez piquant de voir la direction de Mediapart pousser des cris d’orfraies, légitimes au demeurant, après avoir applaudi ou, en tout cas, n’avoir rien dit quand cette même justice, aidée d'une centaine de policiers, perquisitionnait chez Jean-Luc Mélenchon et au siège du Parti de Gauche, embarquant les disques durs sur lesquels figuraient les noms de l’ensemble des adhérents de ce parti et de la France insoumise. Edwy Plenel et Patrice Arfi reprochent, entre autres, à la justice de n’avoir pas prévenu. Il ne semble pas qu’ils l’aient fait avec JLM et ses amis. Bref, quand il s’agit de journalistes, le pouvoir devrait être prévenant mais avec ses opposants, tout lui serait permis… On aimerait, de la part de ces donneurs de leçons, plus de cohérence dans l’indignation…

 

Enfin, toujours au rayon des dérives macroniennes, comment ne pas s’étonner de cet étrange dialogue entre Emmanuel Macron et le club fermé des éditocrates lundi dernier. Ce qui ressort de la parole présidentielle est tout simplement ahurissant. Complotisme à tous les étages, les Gilets jaunes « radicalisés » auraient été conseillés par l’étranger ; « Les structures autoritaires nous regardent en se marrant, ajoute-t-il. Il ne faut pas se tromper. On est d'une naïveté extraordinaire. [...] Le boxeur, la vidéo qu'il fait avant de se rendre, il a été briefé par un avocat d'extrême gauche. Ça se voit ! Le type, il n’a pas les mots d'un Gitan. Il n’a pas les mots d'un boxeur gitan. Nous n’avons pas construit, comme beaucoup de nations autoritaires, les anticorps au système. Donc, nous, on est des pitres ! La communication officielle ou celle de tous les mouvements traditionnels, elle est très peu active, très peu relayée. Les gens qui sont surinvestis sur les réseaux sont les deux extrêmes. Et après, ce sont des gens qui achètent des comptes, qui trollent. C’est Russia Today, Spoutnik, etc. Regardez, à partir de décembre, les mouvements sur Internet, ce n'est plus BFM qui est en tête, c’est Russia Today. ». Le Point, journal peu suspect de gauchisme échevelé, en rend compte ici et, manifestement, tous nos éditocrates sont sortis de la séance en se demandant s’ils avaient rêvé… Frédéric Lordon n’a pas manqué l’occasion. Dans un style qui n’appartient qu'à lui, le lecteur pourra savourer ses saillies ici.

 

Tout ceci invite à réactiver un concept avec lequel nous sommes peu familiers, l’« extrême-centre ». Il nous vient d’un article commis par David Adler, un chercheur en sciences politiques états-unien, dans un article publié par le New York Times du 23 mai 2018, dans lequel il affirme que « ce sont les centristes qui sont les plus hostiles à la démocratie, pas les extrêmes ». La tradition politique, dans notre pays, est que sont réputés hostiles à la démocratie « les extrêmes », de gauche comme de droite et qu’à l’inverse, un peu à l’image d’un Charles de Courson ou d’un François Bayrou, les « centristes » seraient de gentils démocrates, un peu mous, prêts à concéder voire à céder dès que la pression est trop forte au nom de la démocratie qui serait leur horizon indépassable. C’est le médiateur du Monde qui, récemment, a fait part de son extrême surprise au vu des réactions de ses lecteurs aux articles consacrés par son journal aux Gilets jaunes. Des réactions d’une rare violence qui ont désarçonné le malheureux médiateur tant ces excès témoignaient d’une radicalité et d’un mépris de classe rarement vus auparavant. Le lecteur du Monde est manifestement devenu quelqu’un qui s’accommoderait fort bien d’un suffrage censitaire dont, évidemment, lui-même et l’ensemble des « sachants » qu’il fréquente seraient les seuls bénéficiaires. Natacha Polony rappelle dans son éditorial de cette semaine dans Marianne que leurs équivalents US n’avaient rien trouvé à redire aux fraudes massives qui se sont déroulées à l’encontre de Bernie Sanders et au profit d’Hillary Clinton pour les primaires démocrates. C’est également Emmanuel Todd qui, dans ses dernières interventions, abandonnant momentanément sa grille de lecture sur les « structures familiales », a attiré l’attention sur la fracture culturelle mesurable à l’aune des niveaux de diplômes dont nos sociétés sont les victimes. Ces gens-là vivent dans un entre-soi et un confort qui les rend étrangers au reste de la population. Ils sont dans une « bulle », étrangers au monde qui les entoure. Au nom de leur position sociale – bien souvent légitimée par leurs cursus scolaires qu’ils se gardent bien d’interroger – ils pensent savoir ce qui est bon pour tous quand, en réalité, leur vision du bien n’est que le simple reflet de ce qui est bon pour eux et leur classe. La « mondialisation » leur est bénéfique. Ils y sont comme un poisson dans l’eau et ne peuvent simplement pas imaginer que les bénéfices qu’ils en tirent n’ont d’autre source que le malheur des autres. Au demeurant, tout ceci n’est, sur le fond, guère nouveau. Quiconque consent à relire les « grands auteurs » du XIXème, les Balzac, les Hugo, etc. retrouvera là un trait bien commun à toutes les classes dominantes, seul l’environnement change…

 

Cet « extrême-centre » est à la manœuvre avec Emmanuel Macron au pouvoir et il est clair qu’il est prêt à tout, prêt à fouler aux pieds les principes les plus élémentaires de la démocratie dont il se prétend le héraut. De sorte que revient sur le devant de la scène le 1984 d’Orwell avec la « novlangue », cette perversion du langage qui semble être devenue une seconde nature. Les salariés sont devenus des « collaborateurs », pour créer des emplois il faut permettre de licencier, pour sauver la sécurité sociale il convient de l’assécher, pour garantir les services publics, il convient de les privatiser, etc. Le mouvement des Gilets jaunes vient nous rappeler que du côté des « sans-dents », des faibles, des opprimés, l’union ne va pas de soi. Les « contradictions » sont là et leur dépassement n’est manifestement pas pour demain. En attendant, il faut s’attendre à de fortes turbulences dont l’issue ne sera pas forcément heureuse. La tentation autoritaire est de retour. Et, pied de nez de l’Histoire, ce n’est pas forcément avec ceux qui en sont a priori les tenants qu’elle pourrait trouver à s’exprimer. Cet « extrême-centre » pourrait bien être infiniment plus dangereux.

 

  1. Grand débat et sortie de crise : vers un référendum ?

Pendant que le pouvoir s’adonne à la tentation autoritaire, il se donne à voir à débattre. Enfin, débattre n’est pas exactement le terme qui convient puisque chacune des prestations d’Emmanuel Macron dans le cadre du « Grand débat » est, en fait, un one-man-show dans lequel les invités sont soigneusement choisis par les préfets et où « le grand homme » répond des heures durant à quelques questions. Sans passer pour un extrémiste, on peut avoir une autre idée de ce qu’est un débat. On a d’ailleurs appris que c’est précisément pour cela que la responsable de l’instance prévue à cet effet, Chantal Jouanno, avait refusé d’y participer « à titre personnel » comme l’y invitait le pouvoir. On connaît la suite, la dénonciation de sa rémunération – 14 666 € brut/mois – par une presse aux ordres et sa démission… Le lecteur pourra avec profit se porter sur la page d’accueil de l’institution (voir ici) pour constater en quoi les formes choisies par le pouvoir pour ce « Grand débat » sont en totale contradiction avec les « valeurs » de l’institution. Il n’oubliera pas de comparer la rémunération de Chantal Jouanno avec celle qu’a perçu sa remplaçante, Emmanuelle Wargon, et comparer l’indépendance au pouvoir des deux…

 

 

C’est qu’en effet, si la Commission nationale du débat public (CNDP) avait été maître d’œuvre, les prestations d’Emmanuel Macron et des divers ministres qui y participent eussent été impossibles. La mise à l’écart de cette commission ne relève donc en rien d’un hasard. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’en fait tout cela permet à Emmanuel Macron de faire campagne pour les européennes sans bourse délier et sans que quiconque ne trouve à redire aux temps de parole. Le « Grand débat », c’est quand même plus de 15 millions d’euros « aux frais de la princesse ». Avantage aussi, la diffusion en direct sur les chaînes d’information continue des one-man-show du Président, sans parler des commentaires élogieux des journalistes et éditorialistes aux ordres... S’il n’est pas absolument certain que des millions de français les suivent, il reste que l’on cherchera vainement trace ici d’un semblant d’égalité de traitement.

 

Nombreux sont ceux qui sont conscients de cet « enfumage » présidentiel, à commencer par les Gilets jaunes eux-mêmes. Toutes ces réunions brillent par un âge avancé des participants. À bien des égards, on se croirait revenus aux meetings de François Fillon… En outre, même s’il peut arriver que des débats soient organisés « honnêtement », rien n’est dit sur la façon dont les propositions des uns et des autres seront prises en compte. Là où la CNDP avait des règles, ici rien de tel. Il est clair que le pouvoir entend « faire son marché », prendre ce qui lui convient et écarter le reste, tout le reste, l’ISF, la justice fiscale, la suppression de la TVA sur les produits de première nécessité, etc. Sans parler du RIC, bien sûr… dont le premier ministre, dans un élan de franchise, a expliqué qu’il le hérissait.

 

Le risque est donc grand que ne sorte de ce « Grand débat national » rien d’autre que ce pour quoi il a été conçu, à savoir laisser passer le temps, « donner du temps au temps », laisser pourrir le mouvement des Gilets jaunes. Devant cette perspective, pointe en ce moment un « ballon d’essai » selon lequel le pouvoir, autrement dit Emmanuel Macon et le premier cercle de ses conseillers, envisageraient de faire coïncider le vote pour les européennes avec un référendum à choix multiple dont il aurait évidemment la maîtrise quant aux questions posées. Cela permettrait, par exemple, de demander aux français de valider la réforme constitutionnelle qu’Emmanuel Macron a concoctée et qui s’est enlisée au Sénat. Autre avantage évident : cela permettrait de montrer que le GDN n’a pas été totalement inutile, que le pouvoir à « écouté les français ». Accessoirement, cela permettrait de faire remonter le taux de participation qui, traditionnellement, pour cette élection est des plus faible. Mais, on le sait bien, un référendum est un risque. L’électeur mécontent, et il n’est pas rare ces temps-ci si l’on en croit les instituts de sondages, par exemple les 63 % de français qui soutiennent encore le mouvement des Gilets jaunes, pourrait trouver là l’occasion d’exprimer sa colère et, quitte à se déplacer pour voter, ce qu’il n’aurait peut-être pas fait sans le référendum, pourrait en profiter pour voter pour une liste clairement opposée au pouvoir. Toutes les enquêtes d’opinion montrent qu’Emmanuel Macron est devenu le chef de la droite et des couches aisées. Et ces gens-là vont voter, aux européennes en particulier. Faire un référendum conjoint avec les élections européennes, outre le risque de se voir opposer une large majorité de non sur la plupart des questions posées – en dehors de la réduction du nombre d’élus s’entend – c’est prendre le risque de mobiliser un électorat hostile capable de promouvoir des listes d’opposition. Les français ont bien compris que ce vote est sans enjeu réel puisque le Parlement européen est une blague. Quelle que soit la couleur politique des députés qu’on y envoie, le résultat est le même, c’est la Commission qui gouverne et l’Allemagne qui tient la barre. Avec un scrutin de liste à la proportionnelle tel que celui des européennes, se défouler ne coûte rien. Bref, il est à prévoir que tout ceci fait son chemin dans les allées du pouvoir et que le choix sera fait d’abandonner cette idée. Mais, si telle devait être l’issue, restera la question pendante de la réponse à apporter au mouvement des Gilets jaunes et l’immense détresse qu’il traduit dans le pays. Comment, dans un contexte d’abcès purulent continuer à « réformer », autrement dit dérouler l’agenda libéral sur les retraites et le reste ? Autrement dit, comment faire pour ne plus en être réduit qu’à la simple gestion du quotidien à la façon d’un Jacques Chirac naguère ?

 

  1. Venezuela : le coup d’État de Trump et ses alliés

Cela fait presque trois mois que les questions internationales ont déserté ce blog. Non qu’il ne se passe rien en dehors de nos frontières, mais le mouvement des Gilets jaunes a, par sa puissance, son originalité et sa longueur focalisé toute notre attention.

 

Il est une constance avec la politique internationale dans notre pays, c’est qu’on en parle qu’à la seule condition qu’il soit utile d’en parler. La France, « pays des droits de l’Homme », sait fort bien se montrer d’une timidité de violette sur ce terrain dès lors que ses intérêts supérieurs le commandent. Qui se soucie, par exemple, de ce que le principal opposant à Paul Biya, Aboubacar Siddiki, au Cameroun soit embastillé pour purger une peine de 25 ans de prison pour cause « d’hostilité envers la patrie, d’activités révolutionnaires et d’outrage au président » ? Autre exemple, récent, comment Emmanuel Macron, en notre nom, peut-il consentir à aller faire une visite présidentielle en Égypte pour y rencontrer celui qui est probablement l’un des pires dictateurs du monde, le général al-Sissi ? Que les opposants de ce pays soient soigneusement pourchassés, torturés, assassinés, peu nous chaut ou, plus précisément, on se contentera de timides déclarations sans conséquence. Chacun a bien compris que l’enjeu de cette visite est la signature de juteux contrats d’armement… Nulle demande ici d’élections générales, de libération des prisonniers politiques. Par contre, dès que l’Oncle Sam fait savoir qu’il a décidé de faire rendre gorge à l’un de ses derniers opposants en Amérique du Sud, Nicolás Maduro, là, on pose un ultimatum, on s’aligne et rapidement.

 

Alors, bien sûr, on peut à bon droit penser que Nicolás Maduro et son régime ne sont pas exactement les dirigeants que le Venezuela mérite. Hugo Chávez, le prédécesseur, sur la base de cours du pétrole à plus de 100 $ le baril, avait mis en œuvre une politique sociale dont les couches défavorisées de la population avaient abondamment bénéficié. Mais tout ceci s’était fait sans que jamais ne soit entrevu et mis en place une économie alternative. Ce fut le coup classique de la malédiction du pétrole. Et avec lui, la corruption qui se répand. Disposant de la plus importante réserve de pétrole du monde, le Venezuela se révèle aujourd’hui dans l’incapacité de l’exploiter. Comment en est-on arrivé là ? Comment la compagnie nationale qui naguère, sous Chávez encore, parvenait à exploiter cette richesse, a-t-elle pu sombrer à ce point ? Il se dit que le clientélisme aurait été à l’œuvre, autrement dit que, comme avec l’agriculture au Zimbabwe de Robert Mugabe, le pouvoir n’aurait rien trouvé de mieux que de confier des emplois dans la société nationale PDVSA (Petróleos de Venezuela SA) à des armées d’incompétents dont les seuls mérites auraient été leur fidélité au pouvoir en place. Et puis, bien sûr, comment rester indifférent à ce que 4 des 32 millions d’habitants du pays décident de le quitter ? Comment être indifférent à la misère qui règne avec une hyper-inflation de 1 000 000 % ! Alors, oui, le régime Maduro n’est pas exempt de reproches et sans doute faudrait-il qu’il quittât le pouvoir au profit de gens à même de sauver le pays. Mais, doit-on envisager une telle solution avec l’opposition actuelle ? Entièrement à la main des USA qui la finance et lui dicte sa conduite, une bonne partie de cette opposition n’est rien d’autre qu’une version vénézuélienne de l’extrême-droite. Une partie d’entre elle a déjà tenté de prendre le pouvoir par la force. Alors que le système électoral du pays est sans doute l’un des plus démocratiques au monde au point que l’Assemblée nationale du pays est majoritairement dans l’opposition, il se trouve des pompiers-incendiaires, Donald Trump en tête suivi par la majorité des pays européens, dont le nôtre, pour ne laisser à Nicolás Maduro d’autre choix que de se démettre alors qu’il a été élu il y a moins d’un an (20 mai 2018) dans un processus électoral au cours duquel la partie factieuse de l’opposition avait refusé de se présenter faute de faire l’unité de l’opposition derrière elle. Est-il besoin de rappeler que, dans le cadre d’un scrutin à un seul tour dont la légitimité n’a été remise en cause par aucun observateur international, Nicolás Maduro a obtenu plus de 30 % des inscrits (voir ici). On connaît, sous nos latitudes, des chefs d’États, dont le nôtre, qui rêveraient d’avoir obtenu un tel score… (Emmanuel Macron a obtenu 18,2 % des inscrits au premier tour de la présidentielle de 2017). Est-il besoin de rappeler qu’au Venezuela, les dernières élections législatives se sont déroulées le 6 décembre 2015, qu’elles ont donné la majorité au MUD (Table de l’unité démocratique), coalitions de partis d’opposition au pouvoir, avec 112 des 167 sièges de l’Assemblée nationale (voir ici). Pense-ton cela possible dans une dictature ? Et qui, dans un tel contexte de « cohabitation », dispose de la légitimité populaire ? Les députés élus en 2015 ou le Président de la République élu en 2018 ? Il est donc parfaitement invraisemblable qu’au nom de notre pays, Emmanuel Macron choisisse de reconnaître comme chef de l’État Vénézuélien Juan Guaidó, président de l’Assemblée nationale depuis janvier 2019 dans le cadre d’une présidence tournante. De qui se moque-on ?

 

En fait, on voit bien que derrière cette reconnaissance de Juan Guaidó, se cache un alignement politique derrière ce qui se fait de pire au rayon des « populismes » que l’on prétend pourfendre, autrement dit derrière Donald Trump d’une part et Jair Bolsonaro, le nouveau président du Brésil, bénéficiaire de la destitution de Dilma Rousseff et de la mise en prison de Luiz Inació Lula da Silva sur la base d’accusations de corruption jamais prouvées. Il est évidemment largement aussi clair que tout cela ne se déroulerait pas si le Venezuela ne disposait pas des plus importantes ressources pétrolières du monde (environ 300 milliards de barils, plus que l’Arabie Saoudite). Les grandes compagnies pétrolières US, qui ont en grande partie financé la campagne de Donald Trump, sont évidemment à la manœuvre. Même si les USA, grâce au gaz de schiste, sont devenus largement excédentaires sur le terrain pétrolier, l’exploitation du gaz de schiste n’est pas sans poser problème et même si le pétrole vénézuélien n’est pas d’une qualité exceptionnelle puisqu’en grande partie « lourd » ou « extra-lourd », autrement beaucoup plus coûteux tant en ce qui concerne son extraction que son raffinage (contrairement au pétrole de l’Arabie Saoudite), il a le mérite d’exister et il ne fait guère de doute qu’ExxonMobil ou Chevron aimeraient bien remettre la main dessus.

 

Bien évidemment, Nicolás Maduro, soutenu par la Russie, la Turquie et la Chine, ne cédera pas à ces pressions internationales et il est quand même assez peu probable que l’Oncle Sam se lance dans une intervention militaire au Venezuela dans ces conditions. Mais, aidé en cela d’un certain nombre de pays d’Amérique Latine, dont le Brésil, Donald Trump peut mener la vie dure à Maduro, tenter de constituer une armée d’intervention latino-américaine voire alimenter une guérilla armée à ses frontières à l’image de ce qui se fit avec le Nicaragua et les célèbres Contras entre 1979 et 1990. La question qui se pose est de savoir si l’armée qui soutient Nicolás Maduro continuera à le faire. Pour le moment, seul le général de l’armée de l’air Francisco Estéban Yánez Rodrígues a fait allégeance au président auto-proclamé Juan Guaidó. Mais rien ne dit que, dans l’adversité du blocus US, des pays voisins, avec des millions de réfugiés en exil et une situation économique rien moins que catastrophique, l’armée ou une partie significative d’entre elle ne finisse par faire défaut. Donald Trump et ses alliés, dont la France, auraient alors gagné. Ils n’auraient rien moins que provoqué un coup d’État militaire dans une démocratie… Espérons que, loin de cette désastreuse issue, des hommes comme le nouveau président mexicain, Andrés Manuel López Obrador, sauront conduire une négociation fructueuse permettant à ce pays de trouver une solution démocratique et, ainsi, de le sortir de l’ornière, loin des griffes de l’Oncle Sam et loin des tentations répressives que tant de pays d’Amérique latine ont connu et connaissent encore ou à nouveau.

 

@ suivre…

 



08/02/2019
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